Par Matthieu Calame, Fondation Charles Léopold Meyer (FPH)
Depuis 2020, l’Université Paris Dauphine – PSL dispense à tou.te.s ses étudiant.e.s de première année un cours intitulé “Les enjeux écologiques du 21e siècle”, cours qui s’inscrit ainsi dans le programme “Dauphine Durable”. La séance inaugurale du 9 septembre 2021 accueillait Jean Jouzel, ancien vice-président du groupe de travail. J’étais invité à intervenir sur la question clef de la biomasse.
La biomasse est un terme générique qui englobe aussi bien l’ensemble des êtres vivants (végétaux, bactéries, champignons animaux) que le produit de leur décomposition comme l’humus des sols, et même de leur fossilisation (charbon, pétrole, gaz, bitume). Le dernier point est fondamental, car la révolution industrielle repose sur l’exploitation d’excédents de photosynthèse vieux de plusieurs millions d’années, les pudiquement nommées « énergies fossiles ». Ce sont les hectares des forêts du passé qui font tourner la grande machine économique.
La biomasse est produite par la coopération étroite entre les végétaux qui par la photosynthèse transforment le CO2 de l’air en hydrates de carbone (sucres, huile, cellulose…) et la microflore du sol qui capte l’azote de l’air qui combiné aux hydrates de carbone forment les protéines. Eh oui, nos principaux composant viennent de l’air. Et l’homme dans tout ça ? Comme tous les animaux c’est un parasite de la coopération entre les végétaux et le sol. Nous ne fixons rien, au contraire nous dégradons la matière organique (la biomasse) pour vivre. Si nous voulons être moins rude, nous dirons que nous sommes des rentiers qui consomment le revenu – la production annuelle – d’un capital – les formations végétales, au premier rang desquels les forêts. Comme en économie, il existe en écologie une loi d’airain : si l’on consomme plus que le revenu, on entame le capital. Et plus le capital diminue, plus le revenu baisse et plus on consomme le capital si l’on maintient son niveau de prélèvement. On connaît la suite : la banqueroute. En écologie un prélèvement excessif conduit à une dégradation de l’écosystème. La banqueroute, c’est le désert. En 1839, La Révellière-Lépeaux constate mélancolique : «On peut dire que les forêts précèdent les peuples, et que les déserts les suivent ». Certes, le pétrole et le charbon, comme une sorte de trésor englouti de biomasse, ont pu marginalement nous faire réduire notre consommation de bois de feu, épargnant légèrement quelques forêts dans les pays industrialisés, mais dans la pratique, ils ont surtout contribué à nous doter d’une puissance mécanique qui nous a permis d’exploiter de manière extractiviste les grandes forêts équatoriales et boréale donnant raison à La Révellière-Lépeaux. La banqueroute écologique approche à grand pas et elle sera rude. D’autant plus si le changement climatique oblige à renoncer à la biomasse fossile et entrave le bon fonctionnement des écosystèmes comme en témoigne les feux géants. La seule solution viable c’est la sobriété et, osons le dire, la décroissance. There is no alternative.
En effet, un homme, malgré tout son argent, ne pourra-t-il pas manquer des objets de première nécessité ? Et n’est-ce pas une plaisante richesse que celle dont l’abondance n’empêche pas de mourir de faim ? C’est comme ce Midas de la mythologie, dont le vœu cupide faisait changer en or tous les mets de sa table.
Aristote, Politique, livre I, chapitre III § 16.