Article par Miriam Najibi, El Salto diario, 27 août 2023

« Ici, nous travaillons dans tous les domaines liés aux personnes », explique Jokin Revilla, membre d’Ongi Etorri Errefuxiatuak (OEE) à Bilbao. Cette plateforme sociale dédiée à la défense des migrant.es et des réfugié.es a émergé en 2016 face à la crise migratoire survenue avec la guerre en Syrie et les situations de surpeuplement dans les camps grecs. Depuis lors, ses objectifs n’ont pas changé : « Dénoncer les causes qui causent la migration forcée ainsi que la politique de violation des droits des États et offrir un accueil digne ». C’est ainsi que Luisa Menéndez, également militante de l’OEE, l’énumère. Le dernier objectif – « ce que les gens trouvent quand ils arrivent » – est celui qui exige le plus d’efforts de la part de l’organisation.

« Nous interagissons avec d’autres entités et associations, mais nous ne dépendons d’aucune institution ou subvention », explique Menéndez. Même l’endroit situé sur la Calle Pelota dans la vieille ville de Bilbao est approché par des gens qui « généralement », dit-il, « ont déjà passé par tous les services ». Lorsqu’une personne arrive à l’espace OEE, parfois en dernier recours, se révèle, encore et encore, le manque de protection auquel elle est soumise devant la passivité et l’abandon des fonctions des institutions publiques d’Euskadi et de Navarre.

Là, dans ses locaux, les conseils offerts par l’OEE sont orientés, entre autres, vers l’accès à la scolarisation des mineur.es, les procédures bureaucratiques avec Lanbide ou les procédures à Osakidetza. Maintenant, la « porte d’entrée » – telle que définie par les deux militants – pour faire tous ces papiers est le registre municipal appelé « padrón » (1). Ils recommandent, dans un premier temps, de passer par le Service municipal d’urgence sociale (mieux connu sous son acronyme, SMUS), situé sur la rue Uribitarte. Les activités associées à ce service sont des soins sociaux d’urgence sous forme d’accueil et d’intervention directe. De plus, en demandant la carte de restaurant, les personnes en situation d’urgence enregistrent le temps qu’elles ont passé dans la ville. Bien qu’il soit nécessaire de se rendre à ce service, Jokin Revilla le décrit comme « loin de se conformer à un service de diagnostic et d’évaluation ». Ce membre de l’OEE soutient qu’« il devrait y avoir du personnel municipal, mais nous travaillons avec des sous-traitants ». D’après son expérience, il souligne qu’ils interdisent l’entrée des personnes accompagnées, ce qui, ajoute-t-il, « est illégal car elles ne peuvent pas s’exprimer ».

La plate-forme développe une campagne, inspirée d’une autre entreprise par des groupes catalans, dans laquelle le droit à l’enregistrement social est revendiqué dans un domicile municipal. « Dans ce processus d’accueil, nous touchons aux limites du bien-être, mais, en réalité, c’est pour répondre aux besoins des gens et nous ne faisons rien sans le refléter ensuite par des dénonciations dans des manifestations de rue », concluent-ils de l’OEE.

Artea et Irun comme exemple

Parallèlement à la création d’Ongi Etorri Errefuxiatuak, le Réseau Artea, situé dans la vallée d’Arratia (Biscaye), est « un réseau solidaire de refuges et de petites entreprises sociales qui testent de nouveaux modes de vie sous la philosophie du bien vivre et de la désobéissance civile », telle que définie par Mikel Zuluaga, l’un de ses participants. En décembre 2016, deux de ses membres ont été arrêtés en Grèce après avoir tenté de traverser la frontière avec plusieurs réfugié.es. Dans le feu de cette action, de nouveaux paradigmes communautaires ont été incubés dans le cadre de la baserritarra. Pour cela, des vergers, des boulangeries, des ateliers et des auberges ont été mis en place, en plus d’avoir deux maisons – également communales – dans la ville. L’une d’elles pour les personnes en transit. L’autre, pour ceux et celles qui veulent rester. Des centaines de personnes sont passées par là.

Ces espaces existent parce qu’ici on croit que « les gens sont indépendants de tout autre organisme pour vivre à leur guise », précise Zuluaga. Même indépendant du réseau Artea lui-même. « Pour qu’ils prennent leur propre envol, il faut créer des itinéraires pour leur légalisation et leur enracinement », ajoute-t-il. En ce sens et pour qu’ils ne « dépendent de personne », le réseau cherche à leur donner une alternative de travail. Ils évitent les attitudes paternalistes et de bien-être, travaillant à partir de conseils réglementaires et de désobéissance civile dans un processus d’accueil basé sur quatre axes, comme le dit Mikel Zuluaga : « Action humanitaire – empathie pour celui qui souffre ; l’action politique par la confrontation; et la dénonciation des causes en raison desquelles les gens doivent migrer ».

Tout au long de l’été 2018, il y a eu une augmentation du nombre de migrant.es arrivant à Euskal Herria en provenance des côtes andalouses. Des centaines d’entre eux/elles se sont fait grâce à la solidarité de voisinage dans les villes basques et navarraises parce qu’ils et elles se retrouvaient totalement en dehors des arrangements institutionnels. Certaines des alternatives qui ont émergé de la communauté persistent encore.

En juillet de la même année, la gare ferroviaire et routière d’Irun a été remplie par ceux et celles qui ont passé la nuit ou ont été abandonnés avant ou après avoir tenté de traverser la frontière. « Chaque jour, entre 50 et 80 arrivaient dans le village avec l’intention de poursuivre leur voyage vers la France», explique Yon Aranguren, d’Irungo Harrera Sarea. En août de la même année, la police française a renforcé les contrôles et le nombre de migrant.es qui ont été « renvoyé.es à chaud ».

Une centaine d’habitantset d’Irun  des villages voisins « organisés et autogérés en dehors des institutions » pour offrir des ressources individuelles et collectives autour de ce qu’on appelle aujourd’hui Irungo Harrera Sarea. « Les institutions ont mis en place une infrastructure pour dormir et donner des repas », explique Aranguren. Cependant, à partir du réseau, ils soulignent que bien qu’ils aient réussi à avoir un processus, « il existe de nombreuses restrictions et règles opaques » dans le verrou migratoire qu’Irun suppose.

A 120 kilomètres d’Irun, en octobre 2018, Arrigorriaga Harrera est né. Après trois mois au cours desquels le mouvement de quartier de Bilbao a tenté d’accueillir plus de 200 personnes dans des espaces tels que les tribunaux de Atxuri, la Kultur Etxea de Bilbi, Karmela de Santutxu et dans le Bizi Nahi les rives de Deusto; le mouvement s’était décentralisé et s’étendait à toute la Biscaye.

C’est alors que la gaztetxe d’Arrigorriaga a offert son espace et créé une assemblée pour « gérer l’accueil de dix personnes, en collaboration avec la Gazte Asanblada du peuple, Ongi Etorri Errefuxiatuak Arrigorriaga et différents militant.es du mouvement populaire », précise Peio Molinuevo, membre de l’assemblée.

Plus d’une vingtaine de personnes sont passées pendant ce temps par la maison conditionnée par le gaztetxe. « Certain.es d’entre eux/elles étaient juste en transit, ou ont décidé de chercher d’autres opportunités ailleurs. Aujourd’hui, il y a huit collègues qui sont dans le réseau », explique Molinuevo.

De l’assemblée, composée d’une quinzaine de militant.es à l’heure actuelle, ils et elles reconnaissent qu’« une grande partie du travail pour pouvoir offrir un accueil digne est déjà faite ». Par conséquent, en plus de sensibiliser à l’impossibilité de la gratuité des transports, de la lutte contre le racisme et de la solidarité, un autre axe de travail traite de « pouvoir générer des emplois pour les camarades accueilli.es ». En ce sens, sa plus grande réalisation est le BiziEskola, un magasin de vélos et un atelier qui a facilité l’accès au travail pour les collègues.

« Le fait qu’Arrigorriaga Harrera (comme beaucoup d’autres harreras) soit né est synonyme du fait que les institutions ne jouent pas correctement leur rôle », ont-ils déclaré depuis l’assemblée. « Une fois que ces personnes arrivent ici, ce qui les attend n’est guère mieux, car dans la plupart des cas, la survie dans le soi-disant premier monde devient un enfer : manque de soins institutionnels, devoir vivre sans abri en raison de la pénurie de services d’accueil gouvernementaux et municipaux, impossibilité de s’enregistrer… », explique Molinuevo.

 

(1) Il s’agit du document de registre, c’est-à-dire d’inscription au Padrón municipal, qui est le registre administratif où sont inscrits tous les voisins qui vivent dans la commune. Normalement, on s’inscrit dans la rue et au numéro où l’on habite, mais il est également possible de s’inscrire sans adresse fixe pour les personnes qui n’ont pas de logement ou qui vivent dans des rez-de-chaussée, des garages, etc. sans cédula de habitabilidad (ce qui est assez courant en Espagne).

Il s’agit d’un document essentiel qui vous permet d’accéder à différentes prestations, de défendre votre logement en cas de menace d’expulsion, d’attester de la durée de votre séjour en Espagne, d’accéder à des services et à des programmes, de vous voir attribuer un médecin de famille, etc. Normalement, il est très difficile pour les migrants d’obtenir ce document, notamment parce qu’ils n’ont pas accès à des contrats de location réguliers, etc.