ILO Spotlight entretiens avec les coopérateurs: Ekaterina Dimitrova, Project Manager, Monnaie Léman, Geneva, Switzerland
Comment avez-vous commencé à travailler avec la monnaie sociale locale, Le Léman?
Mon engagement auprès de l’Association Monnaie Léman a débuté en tant que bénévole en 2019. J’ai été très intéressée par les monnaies locales et le rôle qu’elles peuvent jouer en tant qu’outils de politiques publiques. Mais aussi, par leur capacité à renforcer l’économie locale, à orienter les comportements individuels et commerciaux vers des pratiques socialement et écologiquement responsables, ainsi qu’à contribuer à la stabilité de l’emploi dans la région genevoise. Pour moi, le véritable potentiel des monnaies locales, et du Léman en particulier, réside dans leur intégration dans les dynamiques communautaires et leur utilisation par les autorités publiques en tant qu’instruments de politiques publiques. Dès lors, mon objectif a été de sensibiliser et d’encourager l’adoption et l’utilisation du Léman par les entités publiques.
En effet, une monnaie locale peut constituer un outil puissant pour dynamiser l’économie locale et renforcer la résilience économique. Elle peut également servir de « filet social » en temps de crise. Par exemple, si elle est acceptée pour le paiement de services publics ou même de taxes ou d’impôts, elle pourra être utilisée en retour par l’administration pour acquérir des biens ou des services dans l’économie locale. Elle peut également être déployée pour soutenir les petites entreprises grâce à des achats en monnaie locale, encourageant ainsi des pratiques écologiquement et socialement responsables.
Je reconnais que convaincre les autorités publiques n’est pas toujours aisé, étant donné qu’il s’agit de prises de décision politiques au niveau local, un processus souvent complexe et chronophage. Mais, nous continuons de semer des idées que je suis convaincue de voir germer de plus en plus.
En quoi consiste la monnaie sociale locale, Le Léman ?
Créé comme monnaie complémentaire et reconnu d’utilité publique en 2019, le Léman circule dans la région transfrontalière autour du lac Léman. Sa gouvernance est démocratique : c’est une monnaie citoyenne utilisée par des individus et des entreprises engagées dans des pratiques environnementales et socialement responsables, telles que définies dans la charte de l’association. papier, électronique et une forme particulière dite “monnaie mutuelle”. Cette dernière est un système de type « Barter » et fournit des lignes de dépenses aux membres professionnels. Cet instrument financier est particulièrement utile pour les entreprises nouvellement créées ou celles qui ont besoin de plus de liquidités ; il peut également être utilisé pour payer les salaires des employé.es.
Le Léman est une crypto-monnaie locale pionnière qui fonctionne sur sa propre blockchain, conçue pour être non spéculative et économe en énergie. Dès le départ, le partage d’expériences a été au cœur de son développement : l’application de paiement a été construite en collaboration avec d’autres monnaies locales, elle est gratuite (open source) et peut être répliquée dans d’autres régions du monde.
Quel est le lien entre les monnaies locales et l’emploi?
Les monnaies locales peuvent stabiliser l’emploi en favorisant les échanges locaux, en soutenant les petites entreprises et en renforçant la résilience économique des collectivités territoriales, réduisant ainsi la vulnérabilité aux crises économiques mondiales.
L’impact direct sur l’emploi dépendra du niveau de circulation de la monnaie et du contexte locale, en particulier de l’implication des administrations en place pour défendre l’économie locale. Les monnaies locales peuvent jouer un rôle dans la dynamisation de l’activité économique, avec des effets multiples sur l’emploi. Elles peuvent stimuler l’économie locale en encourageant les dépenses dans la région, soutenant ainsi les petites entreprises, qui sont une source importante d’emplois. L’augmentation des dépenses locales entraîne souvent une amélioration des performances économiques de ces entreprises, ce qui peut stimuler la création d’emplois pour répondre à la demande croissante. En outre, la monnaie locale favorise les liens communautaires, ce qui encourage le développement de la communauté et, par conséquent, le maintien ou la création d’emplois dans le domaine de la consommation locale courante. De telles initiatives visent à minimiser les sorties d’argent de l’économie locale, augmentant ainsi le soutien aux entreprises locales.
Comment la Monnaie Léman travaille-t-elle avec le mouvement plus large de l’ESS à Genève?
L’Association Monnaie Léman fait partie de l’organisation faîtière de l’ESS, APRÈS – Réseau genevois de l’économie sociale et solidaire, qui est un membre actif du RIPESS Europe . Le Léman a été spécifiquement créé comme instrument économique et financier pour renforcer l’économie sociale et solidaire dans la région du lac Léman en promouvant et en facilitant les échanges locaux, durables et solidaires. Diverses organisations de l’économie sociale et d’autres acteurs économiques acceptent le Léman comme moyen de paiement pour leurs produits et services.
L’une des principales caractéristiques de l’association est son engagement en faveur d’échanges économiques équitables et durables. Sa charte intègre les principes de l’ESS et encourage les opérateurs économiques à aligner leurs pratiques sur la durabilité écologique et la solidarité sociale. Cela signifie que lorsque les particuliers utilisent cette monnaie, ils soutiennent directement des entreprises et des projets de l’ESS qui s’engagent dans des initiatives socialement responsables et respectueuses de l’environnement.
Quel est, selon vous, le lien entre les initiatives locales de l’ESS à Genève et la résolution de l’ONU sur la promotion de l’ESS pour le développement durable ?
La résolution de l’ONU , qui appelle à la promotion de l’ESS en tant que moteur du progrès économique et social durable, résonne fortement avec les principes et les objectifs des initiatives locales à Genève.
Genève dispose d’un solide réseau fortement engagé dans la promotion et la reconnaissance de l’économie sociale et solidaire dans la région. L’organisation faîtière de l’ESS genevoise, APRÈS, créée en 2004, regroupe 450 entreprises et organisations représentant environ 6 000 emplois et un chiffre d’affaires annuel de 600 millions de francs suisses. Elle collabore avec les autorités genevoises dans le cadre de divers projets, dont l’insertion professionnelle. Elle ouvre également aux développement des pratiques d’ESS sur notre territoire.
Des initiatives locales menées par des organisations comme APRÈS se consacrent à la promotion d’une économie plus inclusive, durable et centrée sur la communauté. Et l’utilisation de la monnaie locale, le Léman, vise à renforcer ce réseau. Ses initiatives favorisent la première insertion ou la réinsertion sur le marché de l’emploi, le commerce équitable, le soutien aux entreprises sociales, la consommation responsable et le renforcement des liens entre acteurs économiques. Ces actions sont le reflet direct des valeurs fondamentales inscrites dans la résolution des Nations unies, et notamment le bien-être social, l’engagement participatif, la gestion de l’environnement, l’autonomie, la solidarité, la diversité et la cohérence.
En outre, tant les initiatives locales que la résolution de l’ONU reconnaissent le rôle vital de l’ESS dans la promotion de la démocratie, de la justice sociale et de la réalisation des Objectifs de développement durable (ODD). La résolution de l’ONU encourage les États membres à développer des stratégies, des politiques et des programmes pour promouvoir l’ESS, reflétant les objectifs clés des initiatives locales d’ESS à Genève.
Comment vous voyez-vous, au sein du mouvement de l’ESS à Genève, contribuer à faire avancer les recommandations de la résolution de l’ONU?
Pour être efficaces, les objectifs de la résolution doivent être traduits en politiques publiques à tous les niveaux – supranational, national, régional/cantonal et local. Ce sont également les principaux objectifs de Monnaie Léman et d’APRÈS.
APRÈS est la seule organisation faîtière de l’ESS à Genève et probablement la plus ancienne, la plus structurée et la mieux organisée de Suisse. A ce titre, elle peut jouer un rôle majeur dans la promotion des résolutions de l’ONU et de l’OIT non seulement à Genève, mais aussi en Suisse et, à travers ses réseaux européens et internationaux (RIPESS), au-delà.
Les liens d’APRÈS avec les gouvernements locaux et les institutions académiques renforcent sa position.
Enfin, Genève, en tant que centre international qui accueille les sièges européens l’Organisation des Nations Unies, de l’OIT et de l’OMC, est également un lieu central pour le travail en réseau et le plaidoyer dans le contexte multilatéral. Alors que le RIPESS envisage de renforcer sa présence à Genève, APRÈS pourrait jouer le rôle de passerelle dans cette nouvelle stratégie.