Alors que les crises alimentaire et climatique s’aggravent et que les négociations climatiques créent de fausses solutions, les paysan-ne-s participent au refroidissement de la planète grâce à l’agro-écologie, la souveraineté alimentaire et d’autres solutions. Rencontrons-nous pour élaborer ensemble des stratégies et faire que quelques bonnes solutions soient enfin visibles, sur le devant de la scène. L’ « Espace climat » est un des axes de ce FSM 2013, organisé conjointement par plusieurs organisations clés (cf l’excellent article de Pablo Solon: climate-connections.org/2013/02/04/strike-four-in-climate-change-a-climate-space-to-rethink-analysis-and-strategies/


Lors du séminaire sur « La souveraineté alimentaire, l’agro-écologie et la slow food comme solutions au changement climatique » le 27 mars après-midi, Judith Hitchman d’Urgenci a pu parler de certaines des solutions proposées par les partenariats locaux et solidaires entre producteurs et consommateurs et autres circuits-courts de distribution alimentaire.

Modérateurs: Josie Riffaud, LVC; Shalmali Guttal, Focus on the Global South Peter Rosset, de La Via Campesina, a rédigé ce compte-rendu:

« Peut-on infléchir la désastreuse tendance vers laquelle le monde se dirige actuellement en terme de climat? Et en même temps, être sûrs de manger demain? Nous, paysan-ne-s, sommes habitué-e-s à trouver des solutions. Des bien meilleures que les fausses solutions du capitalisme. La souveraineté alimentaire fournit un cadre à ses bonnes solutions, pour introduire des changements dans les modèles de production et de consommation. Nous ne voulons pas d’une « agriculture intelligente pour le climat » ; elle n’est rien d’autre qu’une agriculture sans paysan-ne. »

Intervenant-e-s:

1. Silvia Ribeiro, ETC Group

Les petits paysans ne possèdent qu’environ 20% des terres dans le monde, mais produisent encore 70% des aliments. Le marché alimentaire est dorénavant le plus gros marché mondial, et les sociétés transnationales veulent donc en prendre le contrôle.

Environ 20 sociétés transnationales se partagent les gros morceaux de ce marché. Le marché des semences est maintenant contrôlé par 6 sociétés transnationales, et 85% des semences commerciales sont sous la protection des DPI (droits de propriété intellectuelle). La situation est similaire pour le commerce des céréales, des supermarchés, des boissons, etc. Il y a là, bien entendu, Monsanto, avec près de 90% des semences OGM ! 10 sociétés transnationales contrôlent 95% du marché des produits agrochimiques (ce sont souvent les mêmes entreprises qui possèdent les semences OGM).

Les OGM sont à l’origine d’énormes problèmes de plantes mutantes, de dépendance, de santé et bien évidemment, de problèmes environnementaux. La position des partisans des OGM, c’est que nous avons besoin de semences de « haute technologie » pour lutter contre le changement climatique: mais c’est un mensonge, car c’est précisément le système alimentaire industriel fondé sur les semences commerciales qui génère la plus grande part de la déforestation et des émissions de gaz à effet de serre (plus de 44%). Nous avons donc avant toute chose besoin de sortir de ce système!

Leur dernière trouvaille, c’est la «biologie synthétique» (génie génétique très poussé). Au lieu de prendre des gènes de la nature, ils les créer de toutes pièces pour confectionner avec de la biomasse un beau produit industriel. Il s’agit là d’une prise de contrôle géante de la biomasse à des fins industrielles et capitalistes.

Nous ne luttons pas juste pour les droits des paysan-ne-s, mais bien pour la survie de l’ensemble de l’humanité.

2. Simone Lovera, Global Forest Coalition

L’élevage intensif est un secteur où la main mise sur le vivant par de grandes entreprises est effrayante. Par exemple: en Inde, 90% des volailles proviennent de l’élevage industriel et 80% des émissions de GES proviennent de l’élevage intensif. « Opérations d’alimentation animale confinées », cages minuscules … c’est aussi la question de droits des animaux et de la Terre-Mère qui est en jeu. Il faut 5 kg de nourriture pour produire 1 kg de viande de volaille : c’est un gaspillage scandaleux dans un monde qui a faim. C’est également une menace considérable pour les petits producteurs car la monoculture industrielle massive d’aliments pour le bétail (ie, le soja transgénique) provoque le déplacement massif des paysans et pollue des communautés entières en pompant toute l’eau ; c’est aussi une cause principale de la déforestation.

L’élevage intensif produit également la viande la plus malsaine qui soit – accumulation d’antibiotiques et de pesticides, etc. (la viande des bêtes élevées en plein air par des fermiers est tellement plus saine !). Beaucoup de nouvelles maladies épidémiques humaines proviennent de cette production intensive de bétail. Aussi, nous devons exiger que le soutien soit redirigé aux systèmes agroécologiques de production intégrés à petite échelle, et favoriser le respect des droits fonciers des paysans et des éleveurs.

3. K.S. Nandini Jayaram, KRRS-LVC-Inde (paysan)

Nous voulons de véritables solutions au changement climatique, pas de fausses solutions venant des grandes entreprises. L’agriculture naturelle, biologique, agroécologique est la vraie solution pour maintenir le carbone dans le sol et absorber celui de l’atmosphère. Nous devons arrêter de subventionner les produits chimiques agricoles. Les petits agriculteurs sont confrontés à l’épuisement des sols par les engrais chimiques subventionnés ; il faut de 3 à 5 ans en agriculture naturelle pour restaurer la fertilité des sols. Il faut donc sortir de l’agriculture chimique, et exiger que les gouvernements modifient leur mode de subventionnement pour soutenir l’agriculture paysanne et permettre la transition vers une agriculture sans chimie. Aider les agriculteurs à cultiver sans produits chimiques agricoles, voilà une véritable solution !

Nous, paysan-nes, sommes les porteurs des nombreux savoirs accumulés pendant les milliers d’années d’agriculture naturelle. Nous avons besoin de partager et transmettre ces connaissances plutôt que de privilégier les OGM et les produits chimiques. Nous, paysan-ne-s, pouvons aussi reboiser durablement nos terres grâce à l’agroforesterie. Voici de véritables solutions. Pas des fausses solutions, comme celle des agrocarburants, qui gaspille de l’énergie et accélère le processus d’accaparement des terres. Un récent rapport sur l’Inde montre que l’utilisation d’engrais a augmenté d’environ 20 à 30 fois depuis les années 1960 et tout ça, pour atteindre le même effet. Cela ne fonctionne plus. Et c’est toujours ainsi avec tout ce que les STN cherchent à nous vendre.

4. Bernard Pineau, Save Our Seeds-Allemagne-ABL-LVC (paysan)

La monoculture produit l’érosion du sol suite à l’usage intensif de produits chimiques. En Allemagne, les rendements des céréales produites industriellement commencent maintenant à baisser (de 10 à 20%). La couche d’humus du sol est détruite, mais en agriculture biodynamique, nous pouvons la restaurer, parfois jusqu’à 5% dans le sol (qui absorbe aussi beaucoup de gaz à effet de serre). Une agriculture biologique et « souveraine » (avec des intrants locaux) est la solution, comme dans mon cas où je cultive selon les principes de l’agriculture biodynamique fondée sur l’action collective et aussi sur la récupération et le contrôle de nos propres semences. La perte de la paysannerie en Europe a été l’une des plus grandes catastrophes de ce dernier siècle; l’Europe a perdu sa souveraineté alimentaire avec de graves conséquences sanitaires et spirituelles. Nous avons besoin de construire une agriculture fraternelle, collective et militante.

5. Judith Hitchman, URGENCI URGENCI est le réseau mondial de l’agriculture soutenue par la communauté (ASC), c’est un mouvement social qui propose une alliance entre producteurs et consommateurs ; c’est un peu la variable « consommateurs » de notre équation. Nous avons besoin de construire de nouveaux systèmes, directs, de production-distribution-consommation des aliments, des circuits courts locaux et solidaires. En ce sens, l’ASC (originaire du Japon, mais désormais mondiale) est l’un des outils les plus puissants pour construire la souveraineté alimentaire au niveau local.

Un partenariat local et solidaire entre producteurs et consommateurs peut être impulsé par les paysans ou mis en place par un noyau de consomm’acteurs, cela dépend. C’est un contrat qui suppose un engagement de la part d’un groupe de personnes qui décident de soutenir l’activité agricole de producteurs auxquels ils assurent une rémunération juste et payée à l’avance ; ces derniers s’engagent à fournir chaque semaine un panier de légumes frais et sains. Les risques et les avantages de la récolte sont ainsi partagés. Dans de nombreux cas, les consommateurs rendent visite aux paysans sur la ferme, y organisent des événements conviviaux, voire participent à ses divers travaux. C’est aussi un bon moyen de (re)construire des liens sociaux et de (r)établir un contact avec la terre et la nourriture, y compris dans ses aspects spirituels.

Nous avons besoin d’un changement de paradigme économique pour passer de la marchandisation à l’économie solidaire (qui inclut également les marchés de producteurs locaux, la vente à la ferme, également la vente de la production excédentaire de nos jardins, les jardins communautaires, la conservation des semences dans les mains des populations locales comme dans le cas des «bibliothèques» de semences, etc.) Les autorités locales sont essentielles pour soutenir (ou détruire) ces systèmes alimentaires locaux (dans le cadre de l’aménagement du territoire, l’appui aux fiducières foncières pour préserver des terres agricoles ; l’émission de bons alimentaires pour les marchés de producteurs locaux ; la promotion des aliments produits par des agriculteurs locaux et bio pour la restauration collective, etc.) Donc, notre changement de paradigme pour atteindre la souveraineté alimentaire est fondé sur le développement des pratiques d’économie solidaire.