Blog de l’économie sociale et solidaire, El Salto Diario, par la Confluencia feminista del FSMET2020 transformadora.org 19 oct 2020

Après avoir discuté des soins en période d’économies dans des conditions de pandémie (en espagnol), nous avons entamé un deuxième dialogue pour partager les graves conséquences que l’héritage des politiques néolibérales des quatre dernières décennies a eu sur les conditions de vie des travailleurs et travailleuses et sur le système de santé publique.

Les première et deuxième vagues néo-libérales ont entraîné le démantèlement de la santé publique et de la sécurité sociale, ainsi que la précarisation de la classe ouvrière et, par conséquent, un fardeau plus lourd de travail invisible et non rémunéré pour les femmes et une aggravation générale pour des millions de personnes. C’est dans ce scénario de capitalisme patriarcal et colonial que les différents gouvernements ont dû faire face à la pandémie. Certains, ouvertement néolibéraux, comme les régimes de Lénine Moreno en Équateur, d’Ivan Duque en Colombie et de l’autoproclamée Jeanine Añez en Bolivie, ont profité de l’urgence sanitaire pour licencier des travailleurs, réduire les budgets sociaux, continuer à payer la dette extérieure, féminiser la pauvreté et renforcer le programme impérialiste et proto-fasciste de sécurité et de militarisation. Les gouvernements ont estimé que c’était le moyen le plus efficace de mettre fin aux processus de mobilisation, de protestation et de grève déclenchés sur le continent latino-américain. Afin d’éviter la contagion, beaucoup de ces gouvernements autoritaires ont ordonné aux forces armées et à la police de contrôler les rues. De cette manière, l’assaut des conservateurs n’a pas duré longtemps et a révélé la crise multidimensionnelle à laquelle nous assistons.

…. La COVID-19 a mis en évidence l’existence de sociétés comme celle de l’Argentine qui, malgré une certaine politique de récupération de la sphère publique, ont internalisé la programmation néolibérale. …

La main-d’œuvre qui fait vivre le monde

Ce deuxième dialogue a permis de récupérer ce que la longue mémoire du féminisme et de l’économie féministe a éclairé pendant des décennies : que les femmes sont la main-d’œuvre qui fait vivre le monde.

Cette énorme contribution que nous apportons s’est accrue au cours de ces mois de quarantaine : nous sommes celles qui travaillent toujours le plus, qui s’occupent de la télé-éducation des enfants, de la santé et des charges émotionnelles de nos familles, celles qui sont dans les champs face aux activités extractives, celles qui produisent et fournissent des aliments sains, celles qui mettent en place les marmites communautaires (ollas comunitarias) et, en même temps, celles qui ont le moins accès à la santé et occupent une grande partie des emplois essentiels mais, en même temps, plus précaires, féminisés et avec des conditions de travail plus mauvaises…. Comme l’ont déclaré Daniela Camozzi et Florencia Montes Paez lors du dialogue, « c’est avec ce schéma que nos projets communautaires et féministes d’accompagnement, d’ateliers et de maison collective ont montré leur force et continuent à exister pendant la pandémie. Mais la quarantaine nous a apporté une autre temporalité et donc une autre voie dans l’organisation, « la politique d’isolement social a fait que notre réseau, qui luttait contre les modes de vie capitalistes hétéro-patriarcaux, s’est replié sur lui-même. Face au risque d’auto-absorption qu’apporte le verrouillage, le défi est de penser au-delà de la résistance et de mettre en réseau la lutte avec d’autres camarades »…. Dans le cas de l’Équateur, Belén Valencia et Alejandra Santillana ont montré que la réaffirmation du projet entrepreunarial au cours de ces mois a signifié que non seulement la vie dans le capitalisme misogyne et raciste est indigne, mais que sous les gouvernements néolibéraux, la gestion de la mort se fait selon une logique mercantile….

Comme l’ont rapporté les chercheuses de l’Observatoire du changement rural, ce sont les femmes rurales, les paysans, les villages et les nationalités des secteurs populaires en Équateur qui ont soutenu la résistance en ces temps difficiles. Dans le cas des femmes rurales, l’éco-dépendance en temps de crise marque un ajustement de leur relation avec la terre. L’engagement en faveur de l’agroécologie et de la diversification de la production agricole et des plantes médicinales est lié à la revalorisation de leur travail comme moyen de fournir une alimentation familiale et sociale. En bref, les soins sont le travail non rémunéré qui permet de satisfaire la vie collective.

Du réseau « Femmes du monde », Graciela Quintero, María Victoria Bojacá, Carla Gutierrez et Natalia Resimont ont partagé les actions développées par les collectifs de femmes de la ville de Hunza à Bogota et le Centre de promotion des femmes Gregoria Apaza en Bolivie. Face à ce contexte généré par le système capitaliste-patriarcal et amplifié par la situation de pandémie mondiale, ces collectifs développent des projets intégraux et intégrés, situés dans leurs communautés, qui fournissent des microéchanges pour le « buen vivir » des femmes et de leurs familles à partir de propositions écoféministes. Le projet « Du toit à l’assiette » permet de garantir la sécurité alimentaire d’une partie de la communauté, de questionner les méthodes de production agroalimentaire et de réhabiliter les semences et les techniques agricoles ancestrales. …

De la résistance à la subversion

Comme l’ont mentionné les compañeras tout au long de ce deuxième dialogue, nous sommes confrontées au défi de passer de la résistance à la subversion contre la raison et la pratique néolibérales, en réfléchissant sur la place que nous occupons par rapport à l’institution et à l’État. En ce sens, il serait essentiel de réfléchir aux argumentations féministes, de tisser cette diversité et d’abandonner les essentialismes. En outre, nous sommes mises au défi de nous éloigner du paradigme de la protection des droits vers l’autogestion et l’auto-organisation, grâce à une pédagogie constante de l’autonomie qui maintient une dynamique permanente de création communautaire, en construisant des expériences qui remettent en question et proposent des alternatives articulées pour la vie, en imaginant un monde où le soin est l’élément central du maintien de la vie.

Pour sa part, Charo Marcos, du réseau écoféministe espagnol, a souligné les effets du démantèlement de la sphère publique depuis la crise de 2008. C’est ainsi que l’urgence sanitaire de la Covid-19 a été traitée ces derniers mois avec un service de santé publique en sous-effectif, qui donne la priorité aux investissements dans la construction d’hôpitaux, même si les sites sont ensuite fermés parce que le personnel nécessaire n’a pas été engagé pour s’en occuper. …

Dans ce deuxième dialogue, les compañeras ont synthétisé la manière dont les féministes et, en particulier, celles qui proposent des points de vue de l’économie féministe, parlent des soins depuis un certain temps et ont construit un discours politique autour de ceux-ci : c’est maintenant que nous sommes capables de les faire atterrir tant dans notre vie quotidienne que dans les politiques publiques et de participer ainsi avec des propositions aussi lucides que la contribution féministe au débat sur la reconstruction de l’après-Covid.

Enfin, les compañeras du Nord et du Sud ont pu échanger des expériences qui ont montré que les féminismes, et surtout ceux qui débordent et transforment le quotidien, constituent une pensée critique dans laquelle les différents mouvements, collectifs, plateformes, réseaux, confluences et parlements ont créé différents espaces de dialogue et de réflexion. Une expression de ces temps est celle qui accueille le dialogue de la Confluence féministe des économies transformatrices, ou la création d’un Parlement plurinational et populaire des femmes et des organisations féministes de l’Équateur qui a émergé après le soulèvement et la grève d’octobre 2019 ou le processus argentin de l’Assemblée des femmes travailleuses en temps de pandémie où les femmes et les personnes LGBTI+ de diverses organisations se rencontrent chaque semaine. Un exemple de plus d’une décennie est sans aucun doute le Réseau Ecoféministe, qui a commencé comme une réunion virtuelle et s’est transformé en un Séminaire Permanent sur l’Ecoféminisme. Cet espace de réflexion collective et de production de la pensée féministe a renforcé ses liens et ses possibilités de croissance collective, faisant de la nécessité une vertu.

Les féminismes sont indissociables de la praxis et sont, avant tout, la possibilité pour nous de réfléchir ensemble au monde que nous voulons co-construire. Peut-être que dans ce féminisme internationaliste qui part du commun pour ensuite gérer ses différences, le soin est une pédagogie de nos relations et une lumière pour révolutionner la vie. Ces réflexions et d’autres encore poursuivent leur chemin de rencontre lors de la deuxième partie du Forum social mondial sur les économies transformatrices (23 octobre – 22 novembre).

Ce dialogue comprenait les voix des No Tan Distintas, Mujeres y Personas LGBTI+ en situación de calle en Argentine, l’Observatorio del Cambio Rural en Équateur, les expériences du réseau écoféministe espagnol et la participation du réseau des Femmes du monde de Belgique, de Colombie et de Bolivie.