Santa Maria est à environ 4 heures en bus de Porto Alegre et est située dans le centre de Rio Grande do Sul, l’Etat brésilien frontalier avec l’Uruguay et l’Argentine. Chaque année, depuis 20 ans, on y célèbre la “Feira de Santa Maria”, une grande foire basée sur l’économie populaire, l’agriculture familiale et l’artisanat des peuples autochtones, laquelle est devenu “le plus grand événement des coopératives alternatives et de l’économie solidaire du Mercosur et de l’Amérique latine” et elle est définie comme « la capitale de l’économie solidaire et du mouvement coopératif populaire. »
Cette année, de nombreux autres anniversaires ont été célébrés: 10 ans de la création de la Secretaria Nacional da Economia Solidária -SENAES- au sein du gouvernement brésilien; 10 ans de la création du Forum Brasileiro da Economia Solidaria –SCBR ; ainsi que les 30 ans de travail sur ce terrain de Caritas Brésil, rendant la présence de Caritas en tant qu’organisateurs de l’évènement très visible.
Enfin et surtout, entre le 11 et le 14 juillet 2013, Santa Maria a accueilli le 2ème Forum Social Mondial de l’ Économie Solidaire – FSMES- (le premier eut lieu en 2010, en prélude de la célébration des 10 ans du Forum Social Mondial à Porto Alegre), dans le but de “légitimer l’économie solidaire comme une stratégie de développement pour promouvoir et diffuser cette solidarité, la pratique collective et populaire, durable, autogérée, en y intégrant les dimensions politique, démocratique, économique, environnementale et sociale, en mettant l’accent sur l’égalité des sexes et la diversité culturelle, réunissant des organisations sociales et de la solidarité, avec la certitude qu’une autre économie existe déjà. ”
La Foire elle-même réunissait une foule de micro artisans, d’entreprises familiales et de coopératives, notamment dans le secteur de l’agro-alimentaire. Plus de 800 exposants venus de divers pays d’Amérique latine et des milliers de visiteurs y ont participé, ainsi qu’aux diverses activités d’un programme culturel agrémenté d’assemblées, de débats et d’ateliers.
Trois axes, de nombreuses convergences
Le Forum a été organisé en 3 grands axes de discussion. Le premier revêtait un aspect normatif: pour beaucoup, il est plus urgent que jamais de clairement identifier les acteurs de l’économie solidaire pour se doter d’un cadre réglementaire approprié à la diversité du mouvement et des initiatives socio-économiques, notamment celles qui favorisent la mise en place du droit aux moyens de production collectifs.
Le deuxième domaine était la consommation responsable, comme un élément fondamental pour la consolidation et le développement d’une vraie économie « solidaire », ce qui implique une « consommation inclusive », respectueuse de l’environnement, conviviale et saine, ainsi qu’un marketing qui garantit un prix équitable, à la fois pour les producteurs et les consommateurs. C’est pourquoi les processus éducatifs et de formation sont fondamentaux dans la construction d’une autre culture de consommation, ainsi que des politiques publiques orientées vers un système de marchés publics qui renforcent et consolident la production, la distribution, la commercialisation et la consommation émanant de l’économie solidaire.
Le troisième objectif était l’organisation du mouvement: compte tenu de la richesse inhérente à la diversité des initiatives et des acteurs impliqués dans l’économie solidaire, la nécessité de l’inter-coopération des réseaux, en évitant toute forme de verticalité et de concentration, a été réaffirmée. La communication est donc un élément fondamental pour avancer dans cette perspective, révélant la nécessité d’avoir des stratégies communes, une action intersectorielle au niveau local, en favorisant un échange accru entre le rural et l’urbain, et une cohérence entre la théorie et la pratique. Mais il y a surtout la nécessité de créer un imaginaire et une vision commune – un récit aux multiples facettes, avec des caractéristiques communes qui sont ancrées dans les valeurs- et d’avoir une compréhension immédiate, visuelle, de ce qu’est cet «autre» monde qui est déjà en construction.
Toutes ces discussions sont sans aucun doute pertinentes d’un point de vue européen, d’autant plus que nous les avons nous-mêmes abordées lors du récent Congrès du Ripess-Europe à Lille. Les organisateurs du Forum veulent être hébergés ailleurs la prochaine fois et y impliquer davantage le RIPESS. Même si les convergences sur ces questions ont été nombreuses, la foire de Santa Maria nous rappelle aussi qu’il y a beaucoup de travail à faire, afin de passer d’une économie informelle et populaire à une économie solidaire et en réseau (avec des chaînes de production intégrales). Ceci est déjà en train de se mettre en place. Des signes encourageants arrivent aussi de l’Argentine, avec son histoire récente et l’engagement de l’Etat au moyen du programme Trabaja Argentine, qui a favorisé la création de nombreuses coopératives et qui a rendu plus vigoureuses les expériences d’usines reprises et autogérées par les travailleurs… mais pour intégrer toutes ces expériences dans l’économie solidaire il faut la volonté de travailler dans un véritable réseau et de s’unir. C’est ce qui rend l’économie… solidaire. Surtout si elle s’accompagne d’une éducation populaire tout au long de la vie.