LISBONNE. SEPTEMBRE 2013.   Par Jordi Estivill


C’est Lisbonne qui a été choisie, à la fin du mois de septembre, pour y tenir la première réunion sur «Économie solidaire, Finances et incubateurs sociaux». Depuis quelques mois, un groupe d’étudiants de l’Université Lusophone de Lisbonne, ainsi que des enseignants, des professionnels et des militants, essayaient de mettre en pratique le concept d’incubateur social qui se pratique déjà dans certaines universités brésiliennes. Ils sont regroupés au sein de l’Association «Innovar Desenvolvimento». Ils essaient de mettre la richesse des connaissances des universités à la disposition des initiatives locales d’économie solidaire, en y concrétisant le slogan répété maintes fois, mais très souvent oublié, d’une université au service de la société.

Le Congrès a eu deux dimensions. Le matin, des documents plus théoriques y ont été présentés et, le soir, la discussion a tourné autour de thématiques plus spécifiques. Après les mots de bienvenue, la parole a été donnée à Jean- Louis Laville (France), Genauto França Filho (Brésil), Rogerio Roque Amaro (Portugal), Jordi Estivill et Jordi Ribas (Catalogne). Ils ont fait part de la situation de l’économie solidaire dans leurs pays et mis en relief les principaux défis.

La question de savoir si le mouvement de l’économie solidaire est à peine à ses débuts, ou a déjà atteint un certain degré de maturation est récurrente; et plus encore s’il existe des formes productives, des valeurs organisationnelles, des idéaux et les défis communs. Savoir comment faire face à la crise actuelle avec des solutions réalistes, aider à créer une nouvelle culture politique qui facilite le dialogue avec les institutions publiques et les responsables politiques, et multiplier leurs forces et leur rôle en tant qu’acteurs, sont quelques-uns des défis qui se posent dans chaque pays ainsi qu’au niveau international. Le rôle des réseaux (RIPESS-Europe et RIPESS-intercontinental, XES, ANIMAR, CRESAÇOR,…), les forums tels que celui du Brésil et des multiples formes d’organisation collective transnationale sont de plus en plus importants.

Dans l’après-midi, les interventions de Pedro Hespanha et Silvia Ferreiro, Genauto França Filho et Monsieur Monteiro des universités de Coimbra, Bahia et Beira Interior, ont focalisé sur le rôle que l’économie solidaire peut jouer dans la promotion de l’innovation sociale et le développement local. Paula Guimaraes, de la Fondation Montepío Geral, la principale mutuelle portugaise, a animé les débats.

Les interventions et les discussions qui ont suivi ont montré que l’offensive du capital a plusieurs visages, dont un est le moralisme apparenté aux notions de responsabilité sociale des entreprises, de «social business» ainsi que la conception individualiste de la notion de l’entrepreneuriat social. Ce sont des concepts originaires des États-Unis qui ont été introduits en Europe par l’Angleterre et la Commission Européenne, qui les a intégrés dans ses programmes. À cette opération mystificatrice il faut y ajouter l’exigence de l’innovation sociale, laquelle est présentée comme la seule solution à la crise.

Par contre, l’économie solidaire apparaît comme un ensemble de pratiques populaires et collectives qui tentent de répondre aux besoins aggravés par la crise. Le développement local trouve ainsi dans l’économie solidaire son meilleur compagnon de voyage: la reconnaissance et l’enracinement au territoire, la légitimation de la proximité des rapports de production et de consommation, la mobilisation et la participation des citoyens.

Le deuxième jour, les discours et les débats se sont focalisés sur les principes et les moyens d’organiser les incubateurs, lesquels, suivant l’exemple brésilien, se sont transformés en vrais «laboratoires vivants» et en moteurs d’animation des réseaux locaux d’économie solidaire. Cela implique être en mesure de mobiliser l’université, de changer beaucoup de paradigmes de son discours afin d’avoir un dialogue égalitaire avec les acteurs de l’économie solidaire, tout en reconnaissant leurs besoins et en se mettant à leur service.

Ces mouvements existent déjà dans certaines universités brésiliennes où des équipes interdisciplinaires d’étudiants et d’enseignants mettent en pratique ces processus d’apprentissage et de participation. Il en va de même dans quelques facultés françaises. En France, il existe une association des enseignants de l’économie sociale et solidaire ainsi qu’une association qui regroupe les élus qui défendent l’économie solidaire. L’Université de Coimbra et celle de Lisbonne ont démarré des expériences similaires.

Dans l’après-midi du deuxième jour et pendant la troisième journée des initiatives en matière de financement alternatif tels que Coop 57, les banques communautaires et les groupements pour l’autofinancement ont été présentées.

La pertinence et l’utilité de cette rencontre sont évidentes comme l’attestent la centaine de participants, la qualité et l’intensité des interventions et des débats, l’implication des jeunes organisateurs portugais, la présence d’organisations d’économie sociale et solidaire de ce pays de même que la dimension internationale – comme en témoigne la participation d’une importante délégation du Timor oriental, pays où le développement des coopératives et le processus d’indépendance nationale se trouvent étroitement liés. Vers la fin de la réunion, Rogerio Roque Amaro et Jean-Louis Laville ont souligné l’importance que, pour la première fois, l’histoire des sciences sociales cessait d’être euro-centrique, grâce à la naissance de l’économie solidaire, en devenant polyédrique (Amérique latine, Asie et Afrique du Nord). Cela garantit sa richesse, l’inter-culturalité et la pluralité de ses débats.