Quatre ans après LUX’09 -à un temps où le RIPESS-Europe n’existait pas encore- l’Asie, à son tour, a abrité la 5ème rencontre internationale du RIPESS. Manille, la capitale des Philippines, a accueilli, du 15 au 18 octobre, les plus de 600 participants venus de plus de 30 pays différents. Le forum des leaders de l’ASEAN (Association des Etats du South-East Asiatique) a tenu une réunion parallèle, ce qui a permis un échange avec les représentants des gouvernements asiatiques sur les approches alternatives au modèle de développement néolibéral, soulignant le rôle crucial que l’économie solidaire peut jouer lorsqu’elle est prise au sérieux.

Quel a été alors le sujet de la rencontre? Comme d’habitude, les sujets abordés ont été nombreux, tout comme la façon de les approcher; une diversité toujours enrichissante. Néanmoins, ce qui est ressorti plus fortement a été la nécessité de trouver les éléments communs qui définissent une vision globale de ce que l’économie solidaire représente. Il existe des différences significatives qui ont été discutées au cours des quatre jours et chaque continent a manifesté des priorités spécifiques: l’Amérique du Sud souligne l’importance de l’action collective, de l’autogestion démocratique et d’un changement systémique profond; l’Asie soutient l’idée d’une croissance inclusive basée sur le développement des micro et petites entreprises; l’Europe doit se confronter à la crise et s’oriente vers une relocalisation de la production et des partenariats engageant les autorités locales; l’Amérique du Nord s’intéresse à l’intégration des pratiques économiques et financières alternatives et le renforcement du mouvement coopératif tandis qu’en Afrique (surtout dans les régions où le «printemps arabe» a eu lieu), on se relie à l’émergence de l’économie informelle, la démocratie et la participation des jeunes.

Le débat sur la vision globale a tourné autour de trois grands axes: la définition de l’ESS et ses critères et son rapport avec le capitalisme; la conception du développement et de la croissance de l’ESS; la relation de l’ESS avec les mouvements sociaux et les autres «économies et pratiques alternatives». Bien qu’il existe encore de nombreuses divergences, quelques conceptions communes ont émergé, qui peuvent aider à ériger une vision fondée sur des valeurs partagées. Il faut commencer par se positionner sans ambiguïtés contre l’agenda néolibéral et entamer les démarches nécessaires pour transformer la société et réaliser le «buen vivir», le respect des droits de la Nature et la promotion de la gestion collective des biens communs. Les résultats de la session sur la vision globale ainsi qu’un document sur les recommandations concernant les politiques publiques (à commencer par l’agenda du développement globale des Nations Unies post-2015) seront bientôt disponibles sur le site ripess.org pour une consultation en ligne avec les membres.

Cette rencontre internationale a également connu une participation remarquable d’étudiants et de jeunes; d’ailleurs, la question de l’engagement et l’autonomie de la jeunesse a été aussi débattue. La réunion a également posé l’importance d’approcher l’ESS dans une perspective de genre et qu’il est essentiel d’accroitre la visibilité des questions de genre dans les pratiques de l’ESS.

La présence de Paul Singer, Secrétaire d’Etat en charge de l’économie solidaire au Brésil, a été certainement une source d’inspiration. Il a identifié les domaines stratégiques pour l’ESS, mais aussi ses risques, à un moment où l’économie sociale et solidaire est en expansion et devient de plus en plus connue du grand public -et les gouvernements commencent à la considérer comme une voie possible face à la crise. Cela pose une question essentielle: quel est le niveau de complicité que l’ESS devrait avoir avec les politiques publiques et les gouvernements? Le Canada vient d’adopter une loi sur l’économie sociale et la France s’apprête à faire de même d’ici peu. Mais est-ce que cela est suffisant ou devrions-nous demander aux gouvernements d’intégrer pleinement l’ESS plutôt que de la considérer comme un segment de marché?

Peter Utting (directeur adjoint de l’Institut des Nations Unies pour le Développement Social) a confirmé que la stratégie de l’économie solidaire est prise au sérieux par les Nations Unies comme une réponse plausible aux problèmes que doit confronter la société de nos jours. La récente initiative des 14 agences des Nations Unies qui consiste à mettre en place une équipe spéciale interinstitutionnelle sur l’économie sociale et solidaire est un signal fort. Comme Monsieur Utting l’a souligné, “le potentiel de l’ESS se rapporte également à l’impératif de justice distributive et environnementale. En effet, une relecture de l’acronyme RIPESS pourrait rapporter aux six principaux éléments de son programme transformateur: résilience, développement intégratif, émancipation politique, autonomisation économique, redistribution des excédents et solidarité.”

Quelques idées ambitieuses (ou des provocations?) ont été également exprimés: Ben Quiñones, coordonnateur du RIPESS intercontinental, a appelé à la création de «Zones Écosystèmes d’Économie Sociale et Solidaire», en réponse aux Zones de libre-échange que de nombreux gouvernements, dont celui des Philippines, ont accordé (exonérations fiscales etc.) aux sociétés multinationales pour attirer des investissements. Et Ekkehart Schmidt-Fink (INAISE), a présenté l’idée d’une banque sociale mondiale.

Comme l’a souligné Daniel Tygel (Secrétaire exécutif du RIPESS-Europe), au cours des dernières années, partout dans le monde, des efforts notables ont été faits pour améliorer la visibilité de l’économie solidaire, et progressivement de nouveaux pays et de nouvelles régions ont adhéré à ses valeurs. En même temps, un fervent partisan du RIPESS et de l’économie solidaire, Pierre Calame (Fondation Charles Léopold Mayer), par le biais de son intervention par vidéo conférence lors de la plénière d’ouverture, a mis en garde le mouvement social de l’ESS sur le risque de tomber dans le romantisme et a insisté sur la nécessité de bâtir des alliances avec un éventail large d’acteurs et de mouvements sociaux. En effet, les alliances seront un élément crucial dans les années à venir: si nous voulons que l’économie solidaire devienne un mouvement social réellement transformateur, nous devons renforcer l’engagement avec d’autres réseaux mondiaux, tels que la Via Campesina dans le domaine de la souveraineté alimentaire et le WFTO (World Fair Trade Organisation). Rudi Dalvai, Président du WFTO, a assisté à la réunion de Manille pour offrir une vision positive de l’engagement du mouvement du commerce équitable avec des acteurs de l’économie solidaire à l’échelle internationale. Laissons maintenant fructifier les liens entre les territoires!

La route est longue; il est donc rassurant de savoir que nous nous dirigeons dans la bonne direction.