[par Josette Combes, co-présidente du Mes – Mouvement pour l’économie solidaire]

Du 26 au 28 octobre s’est tenu à l’Université Rennes II un colloque intitulé « Un autre monde se construit, théories et pratiques ». Son objectif était de « faire l’état des lieux du projet convivialiste, y compris dans sa dimension internationale, en Allemagne, au Brésil, en Inde, au Japon, en Italie ».

Le convivialisme est fondé sur un Manifeste qui propose une convergence de mouvements pour créer une société conviviale à partir d’un « fonds doctrinal commun » pour fonder « un nouvel art de vivre ensemble qui valorise la relation et la coopération » et permet « de s’opposer sans se massacrer, en prenant soin des autres et de la nature (…) un fondement durable à la fois éthique, écologique économique et politique». Le manifeste est issu d’un travail collectif d’universitaires, chercheurs et /ou professeurs sous la houlette notamment de deux complices Marc Humbert, pour PEKEA (a Political and Ethical Knowledge on Economic Activities) et Alain Caillé, fondateur du MAUSS (Mouvement Anti Utilitariste dans les Sciences Sociales) et directeur de la revue éponyme.

Le colloque rassemblait un certain nombre des auteurs du manifeste (voir le programme), la plupart relativement connus pour leurs engagements altermondialistes (si on donne à ce terme le sens d’une opposition à la mondialisation de l’économie financière et rentière et à l’ubris des oligarques aux dépens de quelques trois milliards de pauvres).

Comme il est impossible de résumer la richesse des propos, je me contenterai d’en évoquer quelques expressions saillantes, au risque d’être un peu caricaturale à l’égard des idées qui ont animé la réflexion collective.

Une première série d’intervenants ont offert un point de vue qui ne venait pas des auteurs du manifeste :

Frank Adloff : Le manifeste traduit en allemand a suscité beaucoup d’intérêt dans la société civile (sauf dans les mileux radicaux anti-capitalistes) mais peu chez les académiques, parmi ceux qui y ont fait écho, un certain nombre ont contribué à un ouvrage de commentaires critiques et constructifs pour aller plus loin.

Frédéric Vandenberghe : Si au Brésil le manifeste, traduit en portugais et commenté a rencontré un public qui s’efforce d’en diffuser et discuter les idées, pour le moment ses efforts en ce sens n’ont pas porté de fruits en Inde. Il s’est heurté à la réalité des castes et au fait que le principe de la commune humanité parait non universellement accepté.

Ugo Olivieri : en Italie les milieux académiques qui ont été réceptifs dans le passé aux analyses en termes de paradigmes du don sont aujourd’hui intéressés par l’idée convivialiste.

Yoshihiro Nakano : Des théories proches des idées convivialistes ont déjà été exprimées dans le passé au Japon, mais leurs adeptes ont vieilli et les nouvelles générations sont moins réceptives, cependant au moins une ONG japonaise, PARC, s’efforce de les diffuser dans la société japonaise.

Pierre Monéger-Rogge : l’expérience pratique du convivialisme est l’invitation à un acte de lecture/relecture de l’action et de l’engagement personnel et associatif à la lumière des principes de la déclaration d’interdépendance.

Viennent ensuite une série d’interventions qui envisagent le convivialisme comme un mouvement.

Patrick Viveret « les mots comme habitat émotionnel » (…), « choisir d’être heureux, un acte politique ».

Serge Latouche « sortir de la religion de la croissance, démondialiser, construire un écosocialisme, la démocratie directe est impossible, fondamentalement le « demos est introuvable, qui est citoyen ? »

Thomas Coutrot : 4 conditions pour agir : identifier l’adversaire, identifier le « nous qui va agir », avoir un projet, engranger des succès.

Jean Baptiste de Foucauld : Le Pacte civique (dont il est un des promoteurs) partage les valeurs du convivialisme. Démarche empirique, il entre en résonance avec les principes théoriques énoncés par le Manifeste qui éclairent la démarche des collectifs engagés dans le Pacte.

Gus Massiah : Innovation des Forums sociaux mondiaux : tenir compte des urgences mais relier urgence et transformation structurelle. De 2008 à 2011 exaspération des peuples, 40 mouvements de masse qui demandent tous dignité, liberté (en finir avec les dictatures), justice sociale, pas de domination extérieure, pas de corruption (…) Nouvelle culture politique des mouvements de femmes qui affirment : nous ne subornerons pas notre lutte à d’autres luttes. Nouvelle culture politique d’une jeunesse scolarisée, reliée au monde, ouverte au monde par les migrations. Nouvelles radicalités comme celle des lanceurs d’alerte.

Geneviève Ancel : « les dialogues en humanité » sont une recherche de transformation sociale à partir de sa propre expérience de grandir en humanité en s’appuyant sur le REV « résistance créatrice, expériences anticipatrices, et vision transformatrice ».

C’est une excellente transition vers l’idée que le convivialisme est porteur d’une certaine vision que les intervenants suivants vont préciser dans différentes domaines

Alain Caillé, le convivialisme un art de la conservation (par opposition à la destruction et à l’éradication de la référence au passé et aux générations antérieures), changer les repères spatiaux le cadre de la nation n’étant plus pertinent. Représentation du sujet humain pas seulement comme un être de besoin mais de désir notamment désir d’être reconnu comme un donneur et pas seulement comme un recevant.

Makoto Katsumata, au Japon, deux traumatismes, 2001, introduction de la méfiance de l’autre et 2011,Fukushima. Mouvement des jeunes qui fuient vers l’ouest et s’installent à la campagne où ils sont accueillis par les vieilles générations qui peuvent ainsi transmettre leur savoir-faire et voir renaître leur village. Ambiguïté de la position fuite ou recherche d’un nouveau modèle.

Denis Vicherat : Utopia veut être un trait d’union entre le monde universitaire et les gens de terrain être « spécialiste du général » lier émancipation individuelle et collective, développer une « capacité de nuisance féconde » selon les termes d’André Gorz.

François Flahaut : l’école française, un système inégalitaire qui formate plutôt que d’inviter à la pensée autonome. S’ennuyer pour apprendre, point sensible et contestable du système. Difficulté des maîtres à « tenir » les élèves et systèmes de rétorsion afférents. Ni les enseignants, ni les élèves n’y trouvent leur compte. Une école conviviale est à inventer de façon urgente.

Jean Baubérot : la neutralité est contraire à la liberté de conscience. Dans le conflit il faut mettre au point des « accommodements raisonnables ».

On passe ensuite à la présentation et discussion d’aspects plus pratiques du convivialisme

Christophe Fourel : seuls 2% de la masse monétaire dans l’économie réelle. L’article 16 de la loi sur l’ESS garantit le droit à la création de monnaies locales. Cette avancée promet des développements inédits parce qu’elle lève un obstacle majeur à la circulation de flux locaux économiques maîtrisés directement par ceux qui les émettent, libérant ainsi l’initiative économique et politique.

Susan George : la signature des traités TAFTA / TTIP est la promesse d’un monde encore plus violent qu’il ne l’est actuellement. Ce processus est une tentative de main-mise des oligarques sur tous les domaines de la vie publique, un véritable coup d’état à l’échelle mondiale.

Florence Jany Catrice : les indicateurs qui servent de mesure à l’activité économique et aux politiques publiques œuvrent comme des freins, ils sont facteurs de sidération. Tous les indicateurs sont préconisations et normes sociopolitiques. Qui énonce la qualité ? Qui compte et dit ce qui compte ?

Armand Hatchuel « gérer l’énigme de l’action collective ».

Pierre Olivier Monteil : le discours politique privilégie l’intimidation. Paradoxe d’autorités qui manquent de pouvoir et des pouvoirs qui manquent d’autorité. Un des objectifs du convivialisme rééquilibrer le pouvoir par l’autorité, rendre « désirable » l’obéissance à l’ordre parce qu’il rencontre l’assentiment du citoyen.

Anne-Marie Fixot : construire une ville avec ses habitants, non pas en leur proposant une consultation à postériori mais en les associant dès le début à l’élaboration du processus, notion de convivance.

Enfin le troisième jour amène des analyses qui incitent à une réflexion approfondie, en quelque sorte à considérer le convivialisme dans sa dimension théorique

Stefano Bartolini : dans son ouvrage « Manifeste pour le bonheur Comment passer d’une société de l’avoir à une société du bien-être » met en évidence la non corrélation entre augmentation du PIB et bonheur exprimé de façon subjective (ce que les personnes expriment et ressentent ) ou par des indicateurs objectifs (taux de consommation d’alcool, de psychotropes, taux de suicides de dépressions etc.) . Le développement économique se fait au détriment des richesses relationnelles qui sont de fait considérées comme essentielles au bien être physique et psychique des individus.

Commentaire d’Alain Caillé, « là ou l’économie prime, la société déprime » et la nature aussi, ajouta Marc Humbert.

Jean Claude Pierre : gérer avec sagesse les « biens communs »  de l’humanité, l’urgence climatique nous y invite en nous référant à l’écologie qui montre que la diversité est source de stabilité et non l’inverse et que la nature fonctionne sur des mécanismes de coopération plutôt que de compétition

Jean Philippe Acensi : il est intervenu à la place d’Edgar Morin qui a du se décommander. Il est responsable d’une Agence pour l’Education par le sport qui a mis au point une charte convivialiste dans le sport. Une enquête menée auprès des jeunes fait apparaître que la motivation première pour faire du sport est la convivialité puis la solidarité, la compétition n’arrive qu’en septième position.

Marc Humbert : cite Weber qui dépeint les « technoéconomistes » comme des « spécialistes sans vision, des voluptueux sans cœur ; il cite également Emmanuel Mounier « le primat de l’économique est un désordre dont il faudra sortir ». Il en appelle aux mobilisations combatives praticiennes et universitaires : démarchandiser, repenser le travail, changer de contrat social, oser la limite supérieure des salaires, beaucoup de chantiers pour construire une société conviviale du « bien vivre ».

Bruno Tardieu : les pauvres n’ont pas besoin de charité, ils veulent sortir de la relation de bienfaiteur et d’obligé. Ils veulent contribuer et qu’on reconnaisse cet apport. Une société convivialiste doit permettre de changer le regard qu’on peut avoir sur les personnes en état de précarité parce que c’est la première barrière, souvent infranchissable pour vivre normalement.

Ces bribes ne donnent qu’une idée réduite des échanges qui ont eu cours durant ces trois jours d’autant que dix-sept ateliers prenaient place en parallèle. Toutefois si les comptes rendus des ateliers qui nous ont été rapportés en plénière permettraient de compléter, ils n’ont pas amené matière à retirer de ce qui a été indiqué plus haut.

Pour ce qui me concerne (Josette Combes), j’étais l’avant dernière (juste avant Bruno Tardieu) à prendre la parole.

Je livre ici ma conclusion (voir ici) qui vaut pour l’ensemble du colloque me semble-t-il :« C’est l’ensemble des paramètres qu’il faut modifier pour faire évoluer le monde et notamment celui de la démocratie économique. Ainsi en politique la figure de l’homme providentiel au profit d’assemblées réellement délibératives où s’élaborent avec les citoyens les projets d’intérêt collectif, la réflexion sur ce qui relève du domaine public et du domaine privé. De même faut-il revoir l’échelle des valeurs, la hiérarchie des tâches dites nobles versus celles qui seraient dégradantes et confiées à une sous humanité, notamment le soin des autres, confié aux femmes. La situation climatique si préoccupante impose que les décisions n’appartiennent plus à un club de décideurs mais à l’ensemble des citoyens. Enfin il est essentiel d’adosser les évolutions à un nouvel imaginaire sur ce qu’on peut considérer comme une ‘bonne vie’».

On peut trouver les textes des intervenants sur le site des Convivialistes: http://altersocietal.org/colloque2015txt