Article de Jean Rossiaud en collaboration avec la CODHA
La Codha en quelques chiffres :
1995 : 12 logements, 1 immeuble et 1 association d’habitant·e·s, 100 membres
2022 : 761 logements, 20 immeubles, 6090 membres, dont 1090 inscrits dans un projet en cours et 3815 sur liste d’attente
2024 : 834 logements, 21 immeubles, 7000 membres, dont 1200 inscrits dans un projet et 4400 sur liste d’attente
La Codha, une des coopératives d’habitation participative les plus importantes d’Europe, a fêté 30 ans cette année. Surfant sur la vague des squats des années 80 à Genève, et le mouvement pour des logements abordables soutenu par les syndicats et les partis de gauche, la Codha fut parmi les premières à réinventer l’habitat associatif, autonome des pouvoirs publics et du monde de l’immobilier, foncièrement basé sur le principe de l’auto-gestion, puis de la participation. En trente ans, la Codha a maintenu sa place de pionnière et d’exemple sur le plan européen.
Dans les années 80 Genève connaît une très grande spéculation immobilière. Les appartements deviennent inabordables pour les classes moyennes et inférieures et surtout pour les jeunes, de tous les milieux, qui aspirent dans un esprit post-68, à s’émanciper de leurs parents et à «inventer leur vie».
Le taux de vacance de logement à louer est extrêmement bas, et paradoxalement, de très nombreux immeubles, trop chers, sont laissés vides ; le mouvement pour la défense des locataires est fort, mais il ne s’occupe que des… locataires… Le Parlement et le gouvernement (qui contient deux socialistes sur sept ministres) sont divisés. Le mouvement contre la Crise du logement est mobilisé et est capable de réunir des milliers de personnes dans la rue… des manifestations qui stoppent devant des immeubles vides, le temps que des squatters s’y installent, des occupations durables, sécurisées par la foule. La police n’évacue pas les immeubles, tant que le propriétaire (le plus souvent en faillite) n’a pas de projet et de financement concrets. Genève devient ainsi la ville la plus squattée d’Europe, en proportion de sa taille et de sa population. Les squats donnent naissance à une véritable contre-culture, une avant-garde musicale et artistique. Ils fournissent aussi des logements, gérés collectivement, à des personnes qui en auraient été privées. Mais, tôt ou tard, il est probable qu’ils seront évacués. Le mise en pratique du droit au logement nécessite que les militant-es s’organisent, en offrant des solutions immédiates et concrètes.
Le concept de l’habitat communautaire autogéré commence à intéresser de plus en plus de personnes : il est perçu comme plus solidaire, plus créatif et permettant de sortir les individus de l’isolement social de la modernité. La crise du logement touche particulièrement les étudiant-es, qui se retrouvent à l’avant-garde de la mobilisation.
Parallèlement au mouvement squat, une nouvelle coopérative étudiante, la CIGUË propose aux autorités de les aider à convaincre les promoteurs et les propriétaires de leur mettre à disposition provisoirement des immeubles vides (ce système sera nommée «bail de prêt à usage» ou «contrat de confiance»), le temps que ceux-ci obtiennent les autorisations et les financements pour rénover et relouer. Mais, à Genève, les procédures peuvent durer des années. La CIGUË loge des centaines d’étudiant-es gratuitement… ou presque… puisque chacun paie une somme modique à la coopérative… qui lui permettra finalement de réunir assez de fonds propres pour construire ses propres immeubles. Un modèle est né. Mais la CIGUË ne s’occupe que du logement étudiant. Il est alors nécessaire de proposer ce modèle à tout le monde, et non plus seulement aux étudiant-es.
Le Graal : « le Groupement pour la promotion de l’action associative en matière de logement » se forme, organise un cycle de conférences autour de l’habitat associatif et invite des acteurs de toute l’Europe. La nouvelle génération a perdu le lien avec les coopératives ouvrière de la première moitié du XXème siècle, elle se retourne vers des expérimentations plus récentes en Suisse allemande.
C’est dans ce contexte et forte de cette expérience sociale, que la Codha est créée en 1994 à Genève, elles regroupe des habitant-es de plusieurs squats, de la CIGUË et de coopératives d’habitation en gestation. Ses statuts sont inspirés de ceux de la coopérative zurichoise Wogeno.
Cela débute par une désillusion : il faut trop de temps pour construire à Genève. Dans un premier temps la Codha, ne peut pas répondre aux besoins urgents et aux projets de vie immédiats de ses membres.
La Codha se redéfinit alors comme une faîtière pour des « associations d’habitant·e·s », dont le fer de lance est le « bail associatif » : des professionnels (économistes, architecte, juristes, travailleurs sociaux, etc.) travaillent directement, le plus souvent bénévolement, sur des projets de coopérateurs, et aident les associations d’habitants à construire ou à rénover plusieurs immeubles.
Cependant, le cadre légal n’était pas approprié à l’habitat coopératif et participatif, et il a fallu que la Codha mobilise le milieu politique jusqu’à ce que le bail associatif entre dans la Loi générale sur le logement. Le bail associatif permet de louer un immeuble à une association d’habitantˑeˑs qui s’occupe collectivement de la gestion technique et administrative, en totale autonomie. Cette recette, qui a fonctionné pendant un temps, a aussi montré ses limites.
De l’expansion aux limites de l’autogestion
Afin de centraliser la répartition des terrains en droit de superficie ou bail emphytéotique loués sur des longues durées (99 ans) par l’Etat, huit coopératives s’organisent et donnent naissance en 1999 au Groupement des coopératives d’habitation genevoises (GCHG). La Codha obtient alors plusieurs terrains pour construire 4 immeubles qui pourront accueillir, en 10 ans, près de 80 logements, et, ceci, avec une équipe encore totalement bénévole.
La Codha connaît une deuxième crise de croissance en 2010. L’autogestion totale l’épuise! Les habitantˑeˑs se sentent submergés et déclarent ne pas avoir les compétences nécessaires, pour assumer toutes les tâches de manière à la fois professionnelle et socialement responsable.
Le compromis : les associations d’habitantˑeˑs gardent une autonomie, mais c’est la Codha qui perçoit les loyers. Le rôle du concierge est séparé en deux fonctions: le nettoyage et la conciergerie sociale. Un poste de coordinatriceˑeur d’immeuble est créé, dont le rôle consiste à rapporter les problèmes techniques ou humains avant qu’ils prennent trop d’ampleur.
Avec une nouvelle vague d’expansion, la charte participative est refondue en 2013: désormais, la Codha fait la régie, la banque, et rembourse l’hypothèque. Le Comité de militants se transforme en Equipe de Direction qui engage progressivement une équipe de collaborateursˑtrices. Des cahiers des charges par tâche sont rédigés pour chaque activité: gestion pour les nouveaux projets, gestion locative du parc existant, la mission est de taille. Le Comité de la Codha est désormais composé de 15 personnes, 10 coopératriceˑeurˑs, logés et non logés, ainsi que des cinq personnes de l’Equipe de Direction. Ces dernières ne participant pas aux discussions sur le budget et au vote de celui-ci. Dans la phase projet, les futurs habitants sont invités à s’exprimer par thématiques précises, cependant certains choix stratégiques sont laissés à l’architecte ou au comité.
La participation s’organise par les coopérateurs.trices en divers groupes de travail à l’interne de chaque association d’habitants : GT potager, GT espace communs, GT mobilité, GT cuisines, GT gouvernance, GT fête…
En 2018, pour faciliter la participation à l’échelle d’une grande coopérative, la Codha crée un outil pour la participation en ligne. La Plateforme numérique de la participation (PNP) est développée sur mesure pour les associations d’habitantˑeˑs. Ce logiciel est une boîte à idées interactive, on y trouve des agendas partagés, on peut y lancer des évènements et s’y inscrire, réserver des espaces communs, partager des objets… La PNP est également utilisée dans la phase projet. De plus, cet outil facilite la gestion des incidents et problèmes techniques pour la gestion des immeubles.
Bilan après 30 années
Depuis sa création, la Codha a toujours su faire sortir davantage de logements, et donc de locataires, du marché du logement. Elle l’a fait en restant à la pointe de l’innovation écologique et sociale. Elle est moins radicale, notamment sur le plan de l’autogestion, qu’elle ne l’était à ses début. Elle a ouvert la porte à de nombreuses petites coopératives, qui critiquaient sa gouvernance, de créer leur propre modèle, et élargir ainsi la familles des coopératives participatives et auto-gérées à Genève. La Suisse, et Genève en particulier, connaît une très grande majorité de locataires (soumis au bon vouloir des propriétaires) et une petite minorité de propriétaires (qui sont le plus souvent à la merci de leur banque). Seule la coopérative permet à un-e habitant-e de ne jamais être à la merci de son propriétaire ou de son banquier. De plus, au fur et à mesure que la coopérative rembourse collectivement le prêt hypothécaire, les loyers individuels baissent tendentiellement, ou les surplus sont réinvestis démocratiquement dans des améliorations collectives (salles de fête, chambres d’amis, jardins potagers, etc.) ou dans les aménagements autour des immeubles. La coopérative, c’est«Mehr als wohnen» comme on dit en Suisse alémanique.
Prix et distinctions récentes
– Prix Binding pour la biodiversité, 2023 : Quartier de Pra Roman, Lausanne
– Prix de l’Immobilier romand, 2021 : Pra Roman (Lausanne), Pont 12 architectes: 1er prix « Durabilité et écologie du bâtiment »
– Distinction Romande d’Architecture – DRA 4: Rigaud 55 à Chêne-Bougeries, Genève, Bonhôte & Zapata architectes
– Prix de l’Immobilier romand, 2022 : Ecoquartier Stand (Nyon), Farra Zoumboulakis architectes : 1er prix « Logements d’utilité publique »
– Prix des 100 ans de CHS, Coopératives d’habitation Suisse, 2019 : Immeuble Ensemble (Chêne-Bougeries, GE), Liengme & Mechkat architectes: 1er Prix « Partenariat »