Le 26 et 27 juin 2017 se tenait au Musée Social à Paris, une rencontre autour des thèmes de l’Economie Solidaire, des associations citoyennes et des mouvements sociaux, qui s’inscrit dans le cadre de l’initiative de recherche « Démocratie et économie plurielles » coordonnée notamment par Jean-Louis Laville. Pour ce dernier, l’idée du séminaire est d’opérer une rupture avec la recherche traditionnelle qui ignore les liens sociologiques politiques et historiques qui relient les trois sujets d’étude. Dans la version officielle de l’histoire, le découpage hybride atteint des limites qu’il faut dépasser pour Michèle Riot Sarcey, historienne du féminisme, de la politique et des révolutions du XIXème siècle, grâce à la transdisciplinarité c’est-à-dire notre capacité à aller comprendre et utiliser les concepts d’autres disciplines avec des connaissances partagées.
Elle insiste ensuite sur l’importance de rompre avec la continuité progressiste de l’Histoire pour entrevoir les moments oubliés. En effet Fukuyama et d’autres, ont tenté d’imposer un sens à l’histoire qui nous empêche d’accéder à ces expériences perdues du passé comme l’associationnisme ouvrier, le socialisme utopique ou encore le rôle des femmes ouvrières. Il est donc essentiel de les reconnecter au présent d’une part car ils sont un éclairage précieux à nos pratiques et réflexions actuelles mais aussi parce que ce sont dans ces discontinuités, que l’on trouve l’utopie, créatrice d’un moment de liberté et de chaos où tout devient possible.
Un de ces exemples est l’Ateneo espagnol, présenté par Maité Juan, sociologue. En effet, l’Ateneo est un centre culturel de gestion populaire qui reformule un héritage associationniste autour de plusieurs pôles comme l’éducation, la culture, le débat et la revendication politique et l’indépendance financière. Si certains Ateneos sont dirigés par le patronat ou l’Eglise et tentent d’imposer une vision paternaliste et moralisatrice, d’autres sont des espaces de transformations sociales et politiques de la lutte des classes mais aussi des espaces d’éducation populaire. Créé en 1862 à l’initiative des liberaux proches des cercles progressistes dans le but d’aider à l’éducation de la classe ouvrière, l’Ateneo Catala de la Clase Obrera par exemple dispense des cours de langues, mathématiques, histoire et geographie. Rapidement, il devient le cadre de luttes politiques intenses entre libéraux et la force montante de l’époque, le courant anarchiste bakouninien incarné par les figures de Rafael Farga i Pellicer, Jaume Balasch et Josep Llunas i Pujals. C’est dans ces ébauches d’espaces publiques autonomes qui peuvent accueillir jusqu’à 800 adhérents et 1225 élèves (comme l’Ateneo enciclopedic popular) que l’on retrouve des thèmes actuels de l’ESS. Revaloriser l’histoire des Ateneos peut nous aider à comprendre les références des actions d’aujourd’hui qui essayent d’articuler de manière écosystémique les trois axes culturel, socio-économique et politique.
C’est dans cette démarche que s’inscrit, Fernando Paniagua de Paz, historien et coordinateur de la programmation culturelle de l’Ateneo Nou Barris de Barcelone. Des grèves à l’université quand il était étudiant lui ont permis de replonger dans l’histoire de l’autonomie ouvrière du Barcelone des années 1960 pour y trouver des réponses. L’un des grands travaux a été la reconstitution d’archives qui a donné une publication en libre accès : https://www.traficantes.net/sites/default/files/pdfs/Luchas%20autónomas%20en%20los%20años%20setenta-TdS_0.pdf
En effet, pour l’historien, l’autonomie ouvrière est une façon d’interpréter l’histoire car elle est aussi un critère de détermination politique. Lorsque l’on tente de reconstituer les moments oubliés de ce processus, on découvre une continuité entre mouvements ouvriers et mouvements de l’Economie solidaire. D’où l’attribution actuelle, par des partis d’extrême gauche tel que Podemos ou Barcelona Em Comun des thématiques de l’ESS ou encore l’évolution de certains projets comme la Coop 57 qui serait en partie née de ces luttes ouvrières. Cependant, cette continuité n’est pas un éclat révolutionnaire mais l’histoire d’un échec face au capitalisme. La mort du mouvement ouvrier a quelle part donné naissance à de nouvelles pratiques d’ESS qui transporte toujours une sorte d’utopie, non intégrable à l’ordre existant.
Dans la suite de la conférence, il était intéressant de sortir du cadre de réflexion européen afin d’aller étudier les expériences brésiliennes montrant la reconstitution des formes d’actions collectives autour des trois thèmes associations, mouvements sociaux et Economie Solidaire. Fábio José Bechara Sánchez, professeur de sociologie à l’Universidade federale de Sao Carlos, nous démontre comment des expérimentations d’Economie solidaire sont nées de contextes socio-historiques d’oppression comme par exemple les communautés formées par des africains pendant l’esclavage, des ligues paysannes contre le libéralisme et les résistances indigènes en opposition au colonialisme. Si l’ESS devient une force politique dans les années 90, il faut comprendre qu’elle est également le fruit du recul de ces mouvements sociaux. Cependant au cours des années 2000, la double dimension institutionnelle et civile transforme le mouvement en jumeau de l’Etat. Cela pose aujourd’hui la question de son indépendance. Pour le sociologue, l’avenir du mouvement de l’ESS au Brésil est aujourd’hui dans un moment d’interrogations et de redéfinitions dont certaines font écho au contexte français.
Isabelle Hillenkamp, chargée de recherche IRD-CESSM, revient sur ce sentiment d’échec et d’incertitude en avançant que malgré la désillusion dans l’arrêt de certaines politiques, le processus de long terme lui, ne semble pas s’achever. En effet, dans les idéologies portées par ces politiques et les expérimentations diverses du terrain, il y a un espace de création intéressant et qui continue d’exister. Isabelle Hillenkamp est partie étudier et accompagner des communautés de femmes paysannes avec un sujet de recherche sur l’Agroécologie et le féminisme. Ces mouvements sont dans une recherche d’autonomie qui tente de faire le lien entre agroécologie et féminisme en travaillant avec leurs propres semaines pour casser la dépendance dans les modes de production mais aussi la dépendance par rapport aux hommes et la société patriarcale.
Ces expériences concrètes qui s’inscrivent également dans une perspective sociale, politique et historique permettent de sentir qu’une certaine utopie continue d’exister malgré certains constats d’échec. En déplaçant nos références théoriques et en les rattachant à des expériences concrètes, il apparait la possibilité d’une réflexion alternative et comme le précise Michèle Riot Sarcey, une histoire politiquement orientée qui reconnecte les expérimentions d’autrefois avec les expériences de maintenant.
L’ensemble de la conférence du 26 juin est disponible en vidéo ici : https://www.facebook.com/lePoleSolidaire/videos/651761428355357/
Le programme complet des deux jours est disponible ici : http://www.fmsh.fr/fr/college-etudesmondiales/28399