Article de François Soulard, Dunia

Dunia a dix ans tout rond. Plate-forme de communication numérique, elle s’est forgée au moment du sommet de la Terre Rio+20 (2012) à partir d’une intuition fondatrice : appuyer l’effort des réseaux civils à mener ses batailles informationnelles au sein d’un climat géopolitique qui avait tout l’air de s’endurcir.

Revenons brièvement sur le contexte de l’époque. Sous couvert de coopération multilatérale, le sommet onusien venait de dire, entre les lignes, que l’agenda environnemental avait toute sa place dans l’agenda global, mais qu’il restait subordonné au bras de fer entre puissances. Autrement dit, les politiques environnementales allaient emboîter le pas de la compétition que se livraient les États pour prendre l’ascendant sur leurs adversaires.
Sur le plan informationnel, le sommet Rio+20 faisait son immersion dans une nouvelle étape de la « société de l’information ». Les réseaux sociaux corporatifs démultipliaient la prise de parole des acteurs civils. Dunia y contribua en montant le site multilingue rio20.net pour faire remonter une importante quantité d’initiatives et de propositions. Plusieurs réseaux civils montèrent au créneau pour polémiquer notamment le modèle « d’économie verte » derrière lequel se drapait un accaparement spéculatif des ressources. Cette riche matrice de propositions, qui contrastait néanmoins avec la dispersion des acteurs civils, appelait des leviers de communication autonomes.

Chemin faisant, Dunia a structuré un outillage numérique pour la communication en réseau. Celui-ci recouvre de l’infrastructure (centre de données d’OVH en France, serveurs, connectivité) et de l’ingénierie logicielle qui automatisent certaines actions de communication : monter une ruche de sites web, viraliser massivement un contenu sur des listes électroniques, échanger l’information en équipe, lancer une vidéoconférence multilingue, gérer son stock documentaire et développer une intelligence collective, etc. Une quarantaine d’outils, interopérables et sous licence libre sont aujourd’hui en place. Dunia n’en est pas le développeur, sinon le déployeur et l’administrateur, parfois le contributeur.

L’intelligence logicielle programmée dans ces outils véhicule en elle-même un mode d’action. Elle n’est pas séparable d’un questionnement stratégique en amont. Au-delà du seul outillage, comment concevoir une stratégie de communication? Comment cartographier des contenus conceptuels ou organiser une rencontre virtuelle de 10 000 participants en plusieurs langues ? L’action regorge ainsi d’enjeux méthodologiques, étayés par la dimension numérique, mais reliés à un projet et une intuition stratégique. L’expérimentation s’est ainsi rapidement distinguée au sein de notre feuille de route.

Les partenariats établis sur cette base sont protéiformes. Service numérique mis à disposition, location contractuelle de services à la carte pour des réseaux ou institutions, mission de conseil et d’accompagnement, formation, expérimentation militante, appui à une offre de communication en réseau à l’échelle globale. Dunia, avec sa petite structure associative et ses 4-5 activistes à géométrie variable, a pu être cheville ouvrière de diverses initiatives : Rio+20, Forum mondial des médias libres, Forum social des économies transformatrices, Fora sociaux mondiaux (virtuel) de 2021, parmi d’autres. La FPH compte parmi les soutiens pérennes du projet.

Depuis 2021, le RIPESS Europe et Dunia ont passé une convention pour renforcer le volet numérique du réseau (infrastructure, prise en main des outils et veille) et prendre part aux orientations en tant que membre invité du réseau.

Une nouvelle étape est en marche depuis la pandémie de COVID-19. La guerre de l’information, c’est-à-dire la recherche de persuasion et d’influence par le contenu, a pris une dimension considérable dans les rapports de force. L’évolution vers un monde multipolaire est en train de faire de la dimension cognitive une variable déterminante. Du local au global, les stratégies économiques s’appuient d’ailleurs de plus en plus sur les leviers informationnels, véritable angle mort de la production théorique.

En somme, pour lutter et porter ses propositions, un réseau doit pratiquer un nouvel art du combat informationnel. Déchiffrer les stratégies et les dynamiques d’influence, élargir ses visions, mener une guérilla par le contenu, approfondir les ressorts de l’action en réseau, sécuriser ses communications. Ces quelques mots-clés résument assez bien nos apprentissages.