Par Jason Nardi, Ripess Europe
Dans un monde criblé d’injustices, il est vraiment difficile de reconnaître que certaines d’entre elles sont perpétrées par les systèmes de “justice publique” des États démocratiques à l’encontre de personnes qui ont sacrifié leur vie pour le bien-être d’autrui, même si pour ce faire elles ont dû enfreindre une loi qu’elles trouvaient injuste. C’est le cas de Mimmo Lucano, ancien maire de Riace, une petite ville du sud de l’Italie, récemment condamné à 13 ans de prison pour ce que l’on appelle désormais le “crime de solidarité et de sollicitude” : aider les réfugiés et les migrants à trouver une place dans une société peu accueillante et montrer que c’est possible également grâce à des formes d’économie solidaire. Ce n’est pas par hasard qu’il y a eu une forte réaction de la société civile en Italie et à l’étranger, avec des manifestations dans de nombreuses villes pour “être aux côtés de Riace et Mimmo Lucano”. En tant que réseaux et organisations qui promeuvent l’économie solidaire, nous ne pouvons que compatir avec Lucano et nous tenir à ses côtés pour pousser la justice italienne à revoir la sentence sans déformer la loi par un acte politique discriminatoire comme cela a été fait dans son cas.
Jason Nardi, RIES (Rete Italiana Economia Solidale)
A toute heure du jour et de la nuit par Chiara Sasso, Comuneinfo.net
Les messages qui sont arrivés pour commenter la sentence du Tribunal de Locri – de lourdes peines, tout d’abord 13 ans et 2 mois à Domenico Lucano – rapportaient dans le texte le mot “peur”. À plusieurs reprises. Pourtant la journée était claire, ensoleillée, un air de septembre avec les montagnes sculptées contre le ciel. Mais la nouvelle était trop forte et les yeux se baissaient, laissant place à la peur. Un séisme qui ébranle les certitudes profondes, vécu comme un lourd signal de danger pour tous. Le respect du pouvoir judiciaire… Nous assistons au renversement de la réalité, à la distorsion de tout principe de procédure.
Parmi les chefs d’accusation les plus graves figurent l’association de malfaiteurs, le détournement de fonds et l’aide à l’immigration clandestine. Une organisation de fer est décrite pour gérer des projets dans tout le pays. Ceux qui ont connu et vécu avec Lucano, savent que peut-être les seules choses organisées à Riace étaient les jeux de cartes, pour le reste le trait distinctif était l’improvisation toujours sur tout. Et la volonté d’accueillir à toute heure du jour et de la nuit. C’est peut-être pour cela que la Préfecture avait une ligne rouge permanente avec le maire à qui elle demandait une disponibilité immédiate à tout moment. Riace était connu pour ne laisser personne à la rue.
Les condamnations pleuvaient sur les gens, vingt-sept d’entre eux, sans circonstances atténuantes générales. Huit ans pour Cosimina Ierino. Peut-être que beaucoup d’entre nous ont vu un autre film : Cosimina au siège de Future City [l’association créée par Lucano pour promouvoir le “modèle Riace”], prête à accueillir tout le monde dans un brouhaha de langues qui se mêlent au calabrais. Cosimina comme professeur d’italien, comme secrétaire à tout faire. Sa douceur avait parfois du mal à se frayer un chemin avec tous ces mouvements d’air impétueux, faits de gens, garçons et filles, qui arrivaient dans la grande salle en faisant craquer le parquet. Toujours avec une certaine exigence. Beaucoup d’entre nous ont vu un autre film qui réapparaît pourtant rétrospectivement dans nos cœurs et nos esprits.
Il y a, dans le siège de Future City Palazzo Pinnaro, un petit balcon qui donne directement sur la mer. On y accède par un grand escalier qui mène au deuxième étage. On arrive en pensant être à l’intérieur, et c’est comme être sur le Toit du Monde. Depuis le balcon, le regard va au-delà des tuiles des nombreuses maisons, des ruelles, au-delà de la route avec ses virages en épingle à cheveux et les carrefours du sanctuaire, jusqu’à rencontrer cette masse bleue d’eau salée. Elle balaie. Impossible de ne pas en ressentir la force. L’association Citta Futura se lie au monde, regarde devant elle. Elle ouvre les portes, elle invite. “Entrez, s’il vous plaît”. Comme si le projet appartenait à tout le monde.
L’association fait bien d’afficher le manifeste d’un chef indien : “Ce n’est pas l’homme qui a tissé la toile de la vie, il n’est qu’un fil”. Chaque personne qui arrive tisse inconsciemment quelque chose. Comment peut-on aujourd’hui faire ressentir de l’affection et de la proximité à toutes ces personnes qui ont fait partie de ce rêve, de ce film qui ne sera plus diffusé. Quels mots utiliser pour dire que cela valait la peine, car c’était un signal pour le monde.
C’est un de ces cas de la vie, le même jour où nous attendons des nouvelles de la sentence, jeudi 30 septembre, tôt le matin, un message arrive avec une photo : c’est l’aube sur la mer Ionienne. “Hier, à minuit, un coup de téléphone m’a fait sursauter. C’était le propriétaire d’un restaurant à Caulonia, il m’a dit qu’une fille venait de débarquer et qu’elle avait faim et froid…. “J’ai couru. Une barge avec soixante-dix migrants était escortée vers le port de Roccella. On croit être habitué à tout, après tant d’années, mais on ne s’habitue à rien...”. Il arrive que les opérateurs des différents projets vivent ainsi, prêts à tout moment à affronter les urgences pour prendre la responsabilité de toujours lancer le cœur par-dessus l’obstacle. Il en va de même pour les maires qui sont en première ligne sur tout, se battant et prenant des décisions sur tout, se battant à mains nues.
Voir aussi :
– Pétition pour le maire Mimmo Lucano
– Film sur RIACE de Shu Aiello, Catherine Catella : Un Paese di Calabria
sur socioeco.org :
– Livre : Utopía de la normalidad. Riace, el modelo de acogida de Domenico Lucano – Tiziana Barillà, Icaria Editorial, España, 2018
– De Giuliana Giorgi : Riace : ein Dorf zeigt, wie Flüchtlingspolitik auch aussehen könnte , 2018 and
Ein vorbildlicher Umgang mit Flüchtlingen unter Beschuss: Wird das „Modell Riace“ abgewickelt ? 2018
Plus message de Elisabeth Voss, NETZ :
“Lors de notre assemblée 2019 à Lyon, nous avons décidé de soutenir Riace, le village calabrais, qui accueille des réfugié.e.s depuis 20 ans. Jusqu’à présent, il n’y avait pas de possibilité de coopération dans certains projets. Mais maintenant notre aide et notre solidarité sont nécessaires, car Domenico (Mimmo) Lucano est en difficulté : “L’ancien maire d’une ville italienne qui a revitalisé sa communauté en accueillant et en intégrant des migrant.e.s a été condamné à plus de 13 ans de prison pour complicité d’immigration illégale et pour des “irrégularités” dans la gestion des demandeurs d’asile.” (The Guardian, 30.09.2021). Ce serait formidable si les membres pouvaient organiser des actions de solidarité dans leur pays. Pour la communication avec les activistes des pays germanophones (et peut-être aussi pour des contacts au-delà des frontières), Elisabeth Voss du membre du RIPESS “NETZ für Selbstverwaltung und Selbstorganisation” a ouvert une liste de diffusion (qui était autrefois utilisée pour l’échange FSM-TE) : https://listi.jpberlin.de/mailman/listinfo/wsf-transformoek”.