Article de Reporterre, Amélie Quentel et Ozra, 30 septembre 2022
Depuis la mort de Mahsa Amini, le 16 septembre, de grandes manifestations ont lieu en Iran. Pour la sociologue et écrivaine iranienne Chahla Chafiq, cette contestation populaire est « d’une ampleur totalement inédite ».
Depuis le 16 septembre, un vaste mouvement de contestation populaire se déploie en Iran. Tout est parti de la mort, le même jour, de Mahsa Amini : cette Iranienne de 22 ans, arrêtée trois jours plus tôt par la police des mœurs pour « port de vêtements inappropriés », est morte à l’hôpital, à Téhéran. Depuis, des manifestations ont lieu tous les jours un peu partout dans le pays. Le mot d’ordre de ce mouvement, durement réprimé par le régime du président Ebrahim Raïssi : « Femme, vie, liberté ! »
D’après l’ONG Iran Human Rights (IHR), basée en Norvège, au moins soixante-quinze personnes ont été tuées lors des manifestations, dont six femmes et quatre enfants. Si les femmes sont en première ligne dans la rue, c’est en fait toute la société civile iranienne, exaspérée par les politiques menées par le régime depuis des années, qui se révolte. Discriminations sexistes, fraudes électorales, crises écologique et économique, étouffement de toute forme de contestation… Chahla Chafiq, sociologue et écrivaine iranienne vivant en France, explique à Reporterre les ressorts de cette révolte populaire inédite.
Reporterre — Que vous inspire la révolte contre le régime iranien ?
Chahla Chafiq — Cette révolte est d’une ampleur totalement inédite. Ces dernières années, le peuple iranien s’est soulevé à plusieurs reprises, que ce soit contre l’augmentation des prix du carburant, les fraudes électorales du régime ou les pénuries d’eau. La colère a été croissante et elle s’est de plus en plus dirigée contre les politiques menées. Mais les mobilisations et les slogans n’avaient jamais été aussi radicaux qu’aujourd’hui avec les manifestations — qui s’étendent à tout le pays — déclenchées par la mort de Mahsa Amini, une jeune femme tuée par la police simplement parce que son voile ne couvrait pas totalement ses cheveux.
Le régime ne recule devant rien pour arrêter la contestation. Il ne cesse de couper internet pour empêcher les communications. Il arrête préventivement des citoyens, jette en prison toutes celles et ceux qu’il soupçonne d’avoir participé aux mobilisations. Il tue celles et ceux qui descendent dans la rue. Mais j’ai le sentiment qu’aujourd’hui, la peur a changé de camp. Je reçois tous les jours des messages d’amis me disant que oui, ils sont terrorisés, mais que, malgré tout, ils iront manifester. Les Iraniennes et les Iraniens sont prêts à donner leur sang pour obtenir la liberté.
Pourquoi le cri principal de ces protestations est-il « Jin, Jiyan, Azadî », slogan féministe kurde qui signifie « Femme, vie, liberté » ?
La question des femmes est centrale. La mort de Mahsa a rappelé au monde entier que la colonne vertébrale de la « République islamique » est le sexisme. La domination des femmes est au cœur de son fonctionnement. Elles sont obligées de porter le voile dans les lieux publics, elles n’ont pas le droit de garder leurs enfants en cas de divorce, elles ne peuvent pas voyager sans l’accord de leur mari. C’est pourquoi retirer son voile et couper ses cheveux est un geste d’émancipation fort, un pas vers la liberté.
Cette domination est aussi, plus largement, celle de tout un peuple qui ne jouit pas de ses libertés les plus fondamentales, et risque la mort quand il les réclame. La communauté LGBTQI [1] est réprimée, les défenseurs des droits humains sont réprimés, les activistes écolos sont réprimés… Le mouvement actuel, c’est le combat de la vie contre un régime mortifère, qui cherche à étouffer toute parole et toute possibilité de vie qu’il juge subversive. Le ras-le-bol de la population est parfaitement résumé par ce slogan, ce cri du cœur.
Cette colère est-elle également liée aux enjeux écologiques ? Ces dernières années, il y a eu plusieurs révoltes après des pénuries d’eau…
Complètement.
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