Blâmer l’Internet et les nouvelles technologies de la crise du journalisme est littéralement une excroissance de ceux qui font partie de ce qui cause vraiment la crise des médias: le capitalisme. Et non pas la désintégration d’un modèle économique.. Selon les mots de Pere Rusiñol (Alternativas Económicas), «Le problème est que là où il y avait auparavant des entreprises appartenant à des éditeurs de journaux, il existe aujourd’hui des sociétés appartenant au secteur financier. Le problème est que la banque s’est transformée en éditeur de la presse ».
Il est vrai que les recettes publicitaires, qui financent largement de nombreux médias, ont chuté, mais il est également vrai que la crise des grands médias est due à la mauvaise gestion de ses dirigeants, qui ont trop souvent oublié les valeurs du journalisme pour être trop proches du capital et du pouvoir. En échange, souvent, d’une petite tape dans le dos.
Depuis le début de la crise en 2007, rien qu’en Espagne, 10 000 journalistes ont perdu leur emploi. La même année que beaucoup d’entre nous ont quitté l’université, désireux d’en découdre ou, au moins, de mettre son grain de sable dans la transformation du journalisme. Les nouvelles concernant la fermeture des médias ou le licenciement de travailleurs et travailleuses nous ont fait comprendre que ce ne serait pas facile et que la première chose que nous devrions transformer serait le modèle organisationnel des médias eux-mêmes.
On parle beaucoup de souveraineté alimentaire, de souveraineté productive, de souveraineté technologique … mais pourquoi pas de souveraineté journalistique? Après tout, nous devons examiner comment améliorer la gestion démocratique des ressources destinées aux médias et au journalisme, et repenser la façon dont nous pratiquons la profession, dans certains classements considérée comme l’une des plus précaires.
Récupérer la souveraineté journalistique, pour moi, c’est changer la puce et comprendre le journalisme comme une activité et non comme un produit de consommation ou une marchandise, et le reconnaître comme une pratique collective. Ce n’est pas un terrain neutre, c’est l’un des champs de bataille de la liberté d’expression, de la créativité et l’un des outils les plus puissants de la transformation sociale. Récupérer cette souveraineté passe par un changement de conscience, un changement dans son utilisation,récupérer sa dimension collective, mais comment l’inscrire dans la gestion quotidienne? Que peuvent faire les journalistes?
Eh bien, gérer les médias nous-mêmes et essayer de revenir au journalisme indépendant de toute une vie. Nous ne devons rien inventer. Il y a des expériences médiatiques à travers le monde qui ont opté pour la formule coopérative. Peut-être l’une des plus connues et des plus réussies est le quotidien grec Efsyn, qui compte plus de 120 travailleurs, tous avec le même salaire, et un chiffre d’affaires annuel de cinq millions d’euros. Lorsqu’en 2010 la crise a précipité la Grèce dans le chaos, la plupart des journaux ont choisi de fermer ou de souscrire de nouveaux financements plus intéressés par la publicité que par le journalisme. D’un groupe de journalistes sans travail après la fermeture du journal Liberté de presse, référence journalistique de centre-gauche, va naître Efsyn en 2012 (je journal des journalistes), un journal vraiment différent: coopératif et avec la volonté de jouer en première division, avec les médias qui marquent l’actualité.
Et vous n’êtes pas obligés d’aller jusqu’en Grèce. Chez nous il existe aussi beaucoup d’exemples. Egalement avec ce double objectif – formule coopérative et vocation mainstream- est ainsi sur le point de naître le journal Jornada, un média généraliste, détaché des affaires et des intérêts financiers, créé sous forme coopérative mixte de travail et de consommation sans but lucratif. Par ailleurs, Direct est devenu une coopérative, tout comme Critic, Alternatives économiques et d’autres médias ancrés dans des territoires, ou en dehors de Barcelone: Setembre (Vic), Contrapunt (Mollet del Vallès), Fet a Sant Feliu (Sant Feliu de Llobergat) ou L’Independent de Gràcia (Barcelone). Au niveau espagnol, il existe des expériences assez fortes comme El Salto ou La Marea, qui ont émergé des travailleurs de l’ancien journal Público.
Tous sont très différents, mais ils réunissent des caractéristiques qui les éloignent des médias conventionnels en termes de propriété, d’orientation des sujets traités, de participation des lecteurs, de critères de publicité et de dépendances économiques. Dans le cas de Fet a Sant Feliu, le fait d’être une coopérative de consommateurs constitue l’une des caractéristiques les plus importantes qui fait que les lecteurs partenaires, qui fournissent le capital social, sont aussi les véritables et uniques propriétaires du média.
La récupération de la propriété des médias, en fin de compte, c’est aussi éviter le journalisme commercial et docile qui va de pair avec les annonceurs et les institutions qui appuient pratiquement tous les médias actuels. C’est ne pas être dépendant de la publicité et des prêts bancaires. C’est remettre les gens au centre, et non le capital. C’est, après tout, récupérer le journalisme.
[Article initialement publié sur Mèdia.cat]