Article compilé par Jason Nardi, Ripess Europe
L’Espace commun européen pour les alternatives est un rassemblement qui a eu lieu à Marseille, en France, en avril 2024. Il fait suite au 20e anniversaire du Forum social européen à Florence, en Italie, en novembre 2022. Les deux événements sont des tentatives renouvelées de rassembler les réseaux et les mouvements sociaux en Europe qui luttent contre toutes les formes de discrimination et pour la justice sociale et environnementale, ainsi que de créer des alternatives au système socio-économique actuel, comme l’économie solidaire. La réunion a appelé « tous les mouvements sociaux et citoyens à partager leurs expériences et leurs défis et à développer des initiatives et des mobilisations communes ».
Le programme de la ECSA2024 comprenait des sujets autour de la criminalisation des mouvements sociaux, de la montée de l’extrême droite en Europe, de l’altermondialisation et des stratégies post-capitalistes, de la crise climatique et de la transition écologique, du féminisme et de l’économie des soins, de la solidarité avec la Palestine, de l’inclusion sociale des minorités, des biens communs et des économies transformatrices et bien d’autres. Il s’est organisé autour de 4 « conteneurs » : Émancipation & Solidarité, Pouvoir au peuple, Il n’y a pas de planète B, Lutter et Gagner ensemble.
Ripess Europe a promu et co-organisé deux ateliers, et a participé à plusieurs autres. Les réunions ont été bien suivies et ont participé – voici les courts rapports.
Atelier 1 : L’action politique par l’économie alternative et solidaire
Organisé par : RIPESS Europe, MES – Mouvement pour l’Economie Solidaire, l’Espace de travail Alternatives concrètes d’ATTAC France.
Trois présentations ont ouvert le débat (par Josette Combes, Bruno Lasnier et Hervé Roussel-Dessartre), illustrant comment les données sur l’ESS montrent l’existence d’organisations formelles – principalement associatives et coopératives, qui continuent d’avancer et de se transformer malgré un environnement difficile – et de nouvelles initiatives informelles, qui se développent et se diffusent. Aujourd’hui, le cadre de l’ESS prévoit la cohabitation d’au moins trois binômes :
– réparation vs transformation, avec une vision à long terme pour sortir du capitalisme ;
– la transition – par un changement écologique progressif et profond – vs la bifurcation, un changement radical et systémique de direction ;
– Résistance vs défense : du refus du statu quo à la construction d’un avenir différent.
Dans ce contexte, la question centrale est de savoir comment sortir de nos niches et devenir un écosystème fort sans être institutionnalisé et/ou pris en charge par l’État et le marché. Nous avons discuté de deux questions qui deviennent fondamentales :
– la lutte contre l’appropriation de l’État par le néolibéralisme. L’ESS change, mais l’État change aussi : aujourd’hui, il n’est plus un espace neutre, mais favorise de plus en plus la mainmise des entreprises et criminalise l’action sociale ;
– préserver et nourrir la démocratie interne des organisations de l’ESS et l’éducation populaire à la démocratie, qui sont les mécanismes anti-virus contre le social washing et la prise de contrôle.
En conclusion, nous devons utiliser la politique pour développer l’espace en dehors de l’État mais sous notre contrôle. Notre tâche est de construire un nouvel imaginaire, un nouveau récit, de parler aux jeunes.
Atelier 2 : Communs, mutualisation et pratiques de l’économie transformatrice : comment se mettre en réseau au niveau européen ?
Organisé par : RIPESS Europe, Remix the Commons, RIES – Rete Italiana per l’Economia Solidale
Ce deuxième atelier a été introduit par Frédérique Sultan (Remix) et Jason Nardi (RIPESS Europe). Dans une lecture ostromienne, les communs montrent la capacité des gens à s’auto-organiser en dehors de l’État et du marché, en gérant une ressource de manière durable également pour les générations futures. Dans la pratique politique européenne, les communs – en tant que dispositifs d’auto-organisation et de « faire ensemble » – sont devenus des laboratoires de la démocratie, des droits de l’homme et de la construction de nouvelles institutions.
Après de nombreuses tentatives antérieures de mise en réseau de ces expériences, les questions se posent : comment la pratique de la mise en commun nous permet-elle de nous construire en tant que commoners et acteurs politiques ? Comment les communs font-ils un système de leur diversité ?
Il y a plusieurs thèmes qui nous unissent et en même temps suscitent des discussions :
- la démocratie et la relation avec les institutions. Les institutions sont responsables de la gestion des espaces publics en tant que biens communs et ne remplissent pas ce devoir. Ainsi, les commoners ont développé des outils juridiques pour pirater la propriété (par exemple, la possibilité de constituer des fonds de dotation pour acheter des terres et les sortir de la spéculation, l’achat collectif et morcelé de terres, les trusts…) et s’auto-organiser pour répondre ensemble à leurs besoins et défendre leurs droits contre les politiques publiques qui attaquent les biens communs mondiaux (comme le climat) ;
- relations non violentes. En plus de revendiquer des droits sur le monde extérieur, les communs doivent créer des communautés antifascistes solidaires et appliquer constamment la non-violence à leurs systèmes organisationnels. Au cœur de cela se trouvent les pédagogies des communs, basées sur la collaboration et le partage, comme alternative à la méritocratie et à la compétition ;
- l’économie du don et ses limites. Le capitalisme a commencé avec des clôtures. Les communs luttent contre ces derniers, mais ils doivent également définir des frontières afin d’établir des espaces où des règles alternatives sont en place contre les hiérarchies et l’exclusion économique. Une question qui ne manquera pas de se poser à nouveau sous de nouvelles formes avec les biens immatériels, qui deviennent de plus en plus centraux au fil des ans.
À partir de ces terrains communs, qu’apportons-nous à la campagne pour les prochaines élections européennes ? Comment défendre notre patrimoine commun ? Si les communs sont un monde pluriel, nous devons dire clairement ensemble ce qui n’est pas commun, car partout en Europe nous voyons un détournement comme un risque crucial du temps présent.
Les présentations faites par Bruno Lasnier et Josette Combes sont à retrouver ici.
Merci à Maria Francesca De Tullio pour le récapitulatif des ateliers.