Article de Christian Felber, ECG et Jason Nardi, RIPESS Europe

La 3e Conférence internationale sur l’économie pour le bien commun (ECGIC) se réunit dans la belle ville néerlandaise de Leeuwarden. Au cours des trois jours, des représentants de différentes approches d’économies alternatives se réuniront et discuteront des modèles économiques les plus efficaces pour l’avenir, tireront des leçons des pratiques durables réussies et aborderont la question suivante : « Comment les régions peuvent-elles tirer parti d’une perspective multipartite pour passer d’une croissance quantitative tirée par le PIB à une croissance durable de leur « capital régional » non monétaire ?

Alors que les problèmes sociaux et écologiques mondiaux s’aggravent, la recherche de modèles économiques adaptés à l’avenir devient plus pertinente. Quels modèles sont déjà disponibles ? Dans quelle mesure sont-ils holistiques et pratiques ? Quels sont leurs points communs, et comment pourraient-ils collaborer et créer des synergies, et unir leurs forces pour faire évoluer le cadre juridique de l’économie ? Alors que la science économique passe du courant dominant néoclassique à une combinaison plus plurielle d’écoles hétérodoxes, collectivement avancées par des organisations comme Rethinking Economics ou ISIPE, la discussion sur de nouveaux modèles qui pourraient être mis en œuvre au niveau politique et mis en pratique n’en est qu’à ses débuts. L’ECGIC 2024 veut contribuer à rendre plus visibles certains des « nouveaux modèles économiques durables » les plus holistiques et les plus pratiques et les engager dans des échanges collaboratifs. En conséquence, la communauté scientifique devrait disposer d’une base plus solide pour explorer (la combinaison) de ces modèles aux niveaux de la théorie, de la politique, de la pratique et de la diffusion publique.

L’ECGIC 2024 rassemble les meilleurs représentants des modèles économiques durables pour une table ronde inédite : l’économie des soins, l’économie du beignet, l’économie sociale solidaire, le discours post-croissance et l’économie du bien commun apportent leurs idées à la table et les font converger pour une économie durable.

L’équilibre social de l’ESS rencontre l’équilibre du bien commun
Une session spécifique sera consacrée à l’impact social et RIPESS Europe l’a co-organisée avec l’Économie pour le Bien Commun (ECG). Les deux disposent d’outils de reporting sur le développement durable : les membres du RIPESS Europe « social balance/audit » et le « Common Good Balance Sheet » (CGBS) de l’ECG. Alors que les rapports non financiers ou de durabilité deviennent de plus en plus courants à l’échelle internationale et obligatoires dans certaines juridictions, comme la directive sur la publication d’informations en matière de durabilité des entreprises (CSRD) de l’Union européenne, les concepteurs de cadres recherchent une collaboration pour créer des synergies et définir de futures normes obligatoires. Ils visent à distiller des « méta-exigences » pour un instrument juridique convivial, viable, proportionné, holistique, ambitieux et efficace, en s’appuyant sur une étude de l’IASS par Felber et al. Le RIPESS et l’ECG sont prêts à présenter leurs outils, à apprendre l’un de l’autre et à explorer la reconnaissance mutuelle, la collaboration et le développement conjoint à l’avenir.

Évolution historique et épistémologique
Avant d’explorer les outils d’« équilibre » au sein de leurs réseaux, il est essentiel de considérer l’évolution historique et épistémologique de la mesure, de l’évaluation, de l’impact social et de l’utilité sociale. Les méthodes d’évaluation ont évolué à partir d’une approche de plus en plus hétéronome, externalisée et institutionnalisée, avec le risque de passer de l’évaluation des effets à la mesure de la performance. Les concepts d’utilité sociale et d’impact social ont démontré la porosité de ces notions, les plaçant sur des axes différents tels que privé/public et économie sociale/économie lucrative. Trois transformations ont conduit à la notion d’impact social : le contrôle de l’efficacité et de la causalité, le financement basé sur les résultats, et la notion d’entrepreneuriat social et de modes de gestion capitalistes.

Approches en économie sociale et solidaire
Dans le réseau européen du RIPESS, l’accent a été mis sur la comparaison des approches, des méthodologies et des outils au sein de leur réseau existant. Les acteurs de l’économie sociale et solidaire (ESS) ont pour objectif d’identifier, de valoriser, de mesurer et de rendre compte de ce qui les rend socialement utiles. On distingue trois principales approches d’évaluation : l’évaluation externe, l’évaluation conjointe et l’auto-évaluation. L’approche de l’utilité sociale (principalement en France et en Belgique) vise à découvrir la face cachée de la valeur économique d’une entreprise, à exprimer, promouvoir et rendre compte des effets économiques externes positifs des actions et des produits d’une organisation de l’ESS. L’un des aspects de l’accent a été mis sur les aptitudes, les compétences et le savoir-faire nécessaires pour soutenir l’évaluation de l’impact social et de l’utilité, qui ont été développés dans le cadre du projet DEVISUS[1].

Démarches de progrès et équilibre/audit de l’ESS
La démarche du progrès vise à améliorer l’efficacité, les pratiques et à clarifier les objectifs de manière continue, en favorisant l’amélioration continue sans garantir le respect d’une norme ni demander d’approbation. En Espagne, par exemple, les bilans sociaux et les audits sociaux servent d’outil de responsabilisation au sein du réseau REAS de l’ESS. Ils collectent des données à partir de divers réseaux pour définir des méthodologies communes de responsabilisation, établissant un ensemble d’indicateurs de base et une plate-forme technologique pour la collecte, l’agrégation et l’exploitation des données. Au-delà de ces indicateurs communs, chaque territoire dispose de son propre itinéraire d’Équilibre Social/Audit Social en fonction de la réalité de son territoire. L’équité, le travail décent, la durabilité environnementale, la coopération, l’engagement envers l’environnement et la répartition équitable des richesses sont les 6 principes de l’ESS sur lesquels repose l’outil d’audit social/bilan pour évaluer les pratiques commerciales. Avec un total de 47 questions et 53 indicateurs, les entreprises réfléchissent à leurs pratiques pour connaître l’impact de leurs activités sur les personnes et la planète.

Principes de l’économie du bien commun
L’ECG est basé sur le concept que l’économie doit être guidée par des valeurs telles que la dignité humaine, la solidarité, la justice, la durabilité écologique, la transparence et le partage des décisions. L’économie du bien commun considère que les entreprises sont au service de la société et répondent aux besoins humains fondamentaux tout en répondant aux défis sociaux et environnementaux. Le but est de servir le bien commun, et une entreprise est censée générer des bénéfices pour atteindre cet objectif.

Outils pour les citoyens et les entreprises
À travers le prisme des valeurs, l’entreprise s’interroge sur ses relations avec ses parties prenantes. Le rapport qualitatif-quantitatif généré par la matrice du bien commun peut être utilisé non seulement pour les entreprises mais aussi pour les familles, les organisations et les entités publiques. Récemment, l’ECG italien et le Réseau de l’économie solidaire ont collaboré à la version « famille » / citoyenne de la Matrice pour le bien commun.

Dans l’ensemble, la comparaison de l’EGGC et de l’audit de l’équilibre social de l’ESS donne un aperçu des différentes approches d’évaluation de l’impact des activités économiques. Les deux mouvements, ECG et SSE, explorent la possibilité d’une collaboration et d’un échange de connaissances afin d’améliorer leurs cadres d’évaluation respectifs de l’impact social et économique. Cet effort de collaboration a le potentiel de contribuer à des pratiques commerciales durables et socialement responsables qui donnent la priorité au bien-être de la société et à la durabilité environnementale.

[1]Informations générales : https://ripess.eu/en/devisus-project
Plus d’infos en anglais : https://www.le-mes.org/Projet-DEVISUS-Pour-evaluer-notre-utilite-sociale-ou-impact-social-de-quelles.html